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La place de la culture, du patrimoine et des arts dans l’offre touristique Rapport | Septembre 2020 | CÉSECÉM

Introduction

Dans un contexte de filières culturelles et touristiques en mutation, le CÉSECÉM (Conseil Économique, Social, Environnemental, de la Culture et de l’Éducation de Martinique) mène un travail de terrain dont les objectifs sont de réfléchir à l’articulation des actions, de renforcer la concertation, et la coopération entre acteurs, d’améliorer la communication interne et externe, tout en contribuant par le dialogue collaboratif à la planification territoriale.

La crise mondiale, due à la situation sanitaire actuelle, renforce les difficultés au niveau local, dans ces secteurs, qui se retrouvent directement impactés par l’arrêt brutal des activités et la fermeture des frontières. Cette conjoncture catastrophique, d’une ampleur sans précédent dans l’histoire récente, nous interroge encore plus précisément sur :

LA PLACE DE LA CULTURE, DU PATRIMOINE ET DES ARTS DANS L’OFFRE TOURISTIQUE

Ce questionnement est le point central de ce travail engagé depuis plusieurs mois auprès de différents acteurs du milieu culturel et touristique, qu’il s’agisse de personnalités qualifiées, d’institutions, d’associations…

Le présent rapport est la synthèse de ces entretiens qui représentent un atout indéniable dans un contexte de plan de « relance » des activités culturelles et touristiques post-crise COVID-19.

SYNTHÈSE DES ENTRETIENS

01| Quelle place jouent la culture, le patrimoine et les arts dans l’offre proposée aux touristes ?

La culture, à travers notre richesse patrimoniale et notre foisonnement artistique est un élément de différenciation que nous devons mettre en valeur.

Nous n’avons pas les plus belles plages de la Caraïbe (mais nous en avons de belles), ni la forêt humide la plus impressionnante (mais nos sentiers de randonnées sont tout de même très beaux).

Par contre, nous avons sans doute un des patrimoines bâtis les plus riches de la Caraïbe : le patrimoine industriel (les distilleries), le patrimoine des habitations coloniales, que le patrimoine religieux, le patrimoine militaire, le patrimoine vernaculaire (les cases traditionnelles, les maisons de ville…etc).

La culture martiniquaise se distingue également par un patrimoine immatériel considérable dans tous les domaines artistiques (musiques et danses, littérature et théâtre, arts plastiques, artisanat d’art…etc) et un important patrimoine mémoriel (historique avec l’esclavage et la traite négrière, l’ethnographie, la catastrophe de Saint-Pierre, mais aussi la cuisine créole, les objets de la vie quotidienne, les traditions agriculturales, les jeux et jouets…etc).

Cette diversité culturelle et la pluralité de l’offre constituent les atouts que nous devons mettre en avant pour distinguer la Martinique de nombreuses autres destinations, dans la Caraïbe, et même au-delà. Ce sont aussi les motivations qui poussent les acteurs de la culture à intervenir dans les établissements ou espaces recevant les touristes, que ces derniers soient locaux ou extérieurs.

En dépit d’infrastructures nouvelles, la majorité de nos institutions muséales paraissent obsolètes et devraient être rénovées. Elles restent des marqueurs identitaires reconnus, prisés par une clientèle touristique classique.

Force est de constater qu’il manque de lieu de monstration et de commerce d’arts, répertorié par les prescripteurs et opérateurs du tourisme, puis communiqué aux touristes.

Les figures emblématiques de l’histoire et de la vie martiniquaise sont insuffisamment valorisées.

Les offices de tourisme conçoivent la valorisation du « patrimoine » comme un levier (notamment les évènements nautiques tel que le « Tour des yoles ») mais l’action et la création culturelle restent pour ceux-ci des angles morts.

02| La place de la culture, du patrimoine et des arts dans l’offre touristique a-t-elle évolué ces dernières années ?

Un lent processus de conscientisation semble s’être fait jour, d’abord chez les responsables locaux des secteurs de la culture et du tourisme, puis au sein de la population.

La prise de conscience de la plus-value économique que peut apporter la culture au tourisme est d’abord passée par le patrimoine immatériel (musique, danse, gastronomie…) avant de s’étendre au patrimoine matériel (bâti notamment).

L’histoire douloureuse de l’esclavage et du passé colonial a sans doute joué un rôle négatif dans cette prise de conscience tardive de la valeur du patrimoine bâti, parce que les habitations étaient considérées comme le fleuron de ce patrimoine. Mais la mise en valeur du patrimoine religieux et du petit patrimoine traditionnel rééquilibre cette perception. L’augmentation constante de participants (privés et institutionnels) aux Journées du Patrimoine, le succès de ces journées auprès des Martiniquais, et la croissance forte de la demande de visites urbaines (notamment à Fort-de-France) en sont le témoignage.

L’émergence récente du projet « spiritourisme », qui s’est, à ses débuts, davantage développé sur un socle économique que patrimonial, joue un rôle important dans cette évolution récente.

Il manque encore une véritable politique d’investissement pour rendre l’offre actuelle dynamique et attractive ou pour engager des travaux de restauration.

Certains acteurs culturels incorporent aujourd’hui les concepts « d’apprentissage », « d’expérience culturelle et patrimoniale » dans leurs activités ; ce qui semble aller dans le sens de l’enrichissement et de l’expérience personnelle souhaitée par une part notable de touristes.

L’offre d’actions culturelles et de divertissements est insuffisamment corrélée à la saison touristique haute.

Certains acteurs notent la forte attractivité du spectacle vivant et du tourisme d’apprentissage auprès de la clientèle.

03| La clientèle touristique exprime-t-elle des besoins, des souhaits quant à l’offre culturelle, patrimoniale et artistique ?

Pour l’ensemble des acteurs du tourisme interrogés, la clientèle est de plus en plus à la recherche de découverte culturelle. Le tourisme balnéaire ne se suffit plus à lui-même, et les visiteurs veulent vivre des expériences, notamment sur le plan culturel, au sens le plus large.

Ça peut être assister à des spectacles de tous types (y compris au sein des établissements d’hébergement), visiter des musées ou voir des expositions artistiques ou artisanales, aller à la rencontre des habitants pour découvrir leur mode de vie (donc leur culture), ou encore visiter des sites historiques ou représentatifs de la vie du pays.

La clientèle est de plus en plus exigeante sur la qualité des produits proposés. On entend par là l’intérêt du produit et l’accueil. Les touristes privilégient l’expérience. Ils veulent voir ce qu’ils n’ont pas vu ou entendu ailleurs.

Un des constats souvent exprimé par les touristes est la difficulté d’accès à l’information, notamment la visibilité insuffisante de l’offre culturelle sur internet.

Un autre reproche est l’imprécision sur les horaires et des plages d’ouverture parfois restreintes (le week-end entre autres).

A noter : les touristes locaux expriment à peu près les mêmes points de vue que les touristes de passage.

L’expérience gastronomique, la demande en rapport avec l’alimentation locale (ou « authentique ») connait une tendance haussière, en rapport avec la demande « d’expérience personnelle ou d’apprentissage. »

La clientèle est sensible aux efforts de préservation du patrimoine.

04| Quel pourrait être l’impact d’une amélioration ou d’une augmentation de l’offre sur le développement du tourisme ?

Au préalable, il serait nécessaire de mesurer la satisfaction des touristes (extérieurs comme locaux) à cet égard (sondages et enquêtes de satisfaction, livres d’or, réseaux sociaux, sites internet des acteurs du tourisme et de la culture).

Si les retours sont positifs, l’impact se verra très vite. D’abord parce que les touristes utilisent de plus en plus internet pour faire leur choix de destination de vacances. Ensuite parce que le bouche-à-oreille fonctionne aussi très bien (un touriste satisfait, qu’il soit local ou extérieur, le fera savoir à ses amis, à sa famille).

L’impact pourra être très important en termes de :

  • fréquentation des sites et lieux culturels (retombées directes)
  • emploi sur les sites et lieux culturels (retombées indirectes)
  • développement de l’activité des artistes et artisans
  • attractivité de la destination

Pour exemple, le programme « Découvrir le patrimoine autrement » mis en place par le Parc Naturel de Martinique a connu un tel succès que certaines randonnées organisées dans ce cadre ont dû refuser des participants.

S’il y a une « conscientisation » de l’offre, il reste une absence de sources d’information qui examinent les attitudes et les motivations des consommateurs dans les différents segments du tourisme, d’un point de vue démographique et psychographique. L’identification des créneaux du tourisme culturel martiniquais et de leurs caractéristiques ou tendances de marché conditionne, en effet, l’amélioration d’une politique de l’offre.

Une offre de tourisme culturel diversifiée et améliorée impactera le développement territorial par accroissement du caractère distinctif et concurrentiel, marque « de qualité ».

Cette augmentation et diversification de l’offre se traduirait également par une diversification et augmentation des recettes (fiscales et autres).

05| D’après vous, l’offre culturelle, patrimoniale et artistique répond-elle correctement aux attentes de la clientèle touristique ? Quelles sont les critiques les plus souvent entendues ?

Le spiritourisme, avec les nombreux éléments patrimoniaux matériels et immatériels autour de la filière canne-sucre-rhum, doit être un réel atout concurrentiel de la Martinique. Les chiffres des visites dans les distilleries, mais aussi sur les autres éléments patrimoniaux liés à la filière (musée de la canne, usine du Galion, habitations présentant des vestiges de l’économie de plantation…etc.) montrent que c’est bien une demande réelle de la clientèle touristique.

La richesse muséale de la Martinique est également un atout considérable, qui n’est pas toujours suffisamment mis en valeur, notamment par une communication adéquate.

Les critiques les plus courantes portent sur :

  • Une signalétique encore très déficiente sur la plupart des sites culturels
  • Une communication insuffisante, tant auprès des touristes locaux qu’auprès des visiteurs sur les évènements culturels, une médiatisation défectueuse, notamment sur les réseaux sociaux.
  • Des plages horaires de visites des sites et musées pas toujours clairement affichées, et souvent mal adaptées à la demande touristique (notamment pour les sites publics).
  • Des hébergeurs (hôteliers et non-hôteliers) insuffisamment formés (et informés) pour renseigner les touristes.

Les critiques majoritaires concernent la propreté de certains lieux, la signalisation insuffisante des sites culturels sur les routes, et l’accès à ces sites via les transports publics.

06 - 07| D’après vous que faudrait-il améliorer prioritairement ? Qualité ? Diversité ?

L’avis unanime des personnes interrogées porte sur une amélioration qualitative de l’offre et non sur une augmentation de cette offre qui est déjà jugée suffisante. Par exemple, il y a plus d’une vingtaine de musées (publics et privés) en Martinique, mais si certains (comme récemment le mémorial de la Montagne pelée) ont été rénovés, avec une muséographie attrayante et actuelle, d’autres ne sont pas qualitativement satisfaisants et nuisent à l’image globale de l’offre.

Les deux points essentiels à améliorer sont clairement : la communication sur l’offre, surtout pour l’évènementiel (à travers tous supports : flyers, brochures, médias, internet dont réseaux sociaux…etc.) et la signalétique, surtout pour le patrimoine matériel.

Il faut travailler sur l’ouverture des grands évènements martiniquais (Tour des yoles, Carnaval, Festival culturel de Fort-de-France, …etc.) aux touristes extérieurs, par une meilleure communication, parfois par une adaptation (choix de la période).

Il faut améliorer la professionnalisation de l’accueil-vente, pour augmenter également la valeur du « ticket moyen » à travers des boutiques sur les sites patrimoniaux (ex. Habitation Clément, mais aussi Domaine de l’émeraude…)

Il faut améliorer les outils de l’observation et la collecte des données afin de produire une analyse des fréquentations, des publics, des enjeux et des attentes des visiteurs internationaux.

En parallèle des actions de communication et promotion traditionnelles, ou des participations aux salons, les acteurs du tourisme et du patrimoine mentionnent l’importance du cinéma et des séries télévisées, et donc la nécessité d’un renforcement du Bureau d’accueil des tournages.

Les labels d’Etat et internationaux sont à rechercher pour leurs effets structurants, autant que comme supports de communication.

Il faut animer les réseaux professionnels en développant les démarches croisées et partenariales d’acteurs touristiques et culturels qui s’ignorent trop souvent.

08| Quelles autres suggestions, préconisations pouvez-vous faire pour le développement du lien entre culture et tourisme ?

Pour le développement du lien entre culture et tourisme, il conviendrait d’assurer la gestion et le fonctionnement de ces sites par le recrutement de guides conférenciers multilingues formés à la connaissance du territoire et à son histoire. Il faut reconduire ces formations et mutualiser leur mission sur plusieurs sites.

Le volcanisme devrait être mieux mis en scène et développé (visites de l’ancien observatoire volcanologique et du nouveau, rénovation de la maison du volcan…etc.).

Sensibiliser les collectivités locales aux enjeux d’interconnexion et de co-construction systématiques entre les deux secteurs est une nécessité.

Il faut développer une logique économique et d’exploitation tournée vers les attentes des publics ainsi que les outils permettant la découverte touristique des sites pour tous publics.

09| Quels seraient les acteurs à mobiliser pour mettre en œuvre ces préconisations ? Quelle stratégie adopter ?

Les acteurs sont nombreux puisqu’il s’agit aussi bien des responsables du développement économique global de la Martinique que des acteurs de chacun des deux secteurs concernés, mais aussi plus largement des acteurs des secteurs économiques possiblement impactés, comme le commerce ou les transports.

L’ensemble des financeurs potentiels, publics et privés doivent être associés puisque ce sont des partenaires essentiels.

L’Université des Antilles a ouvert plusieurs formations en lien direct avec la culture, le patrimoine et le tourisme comme :

  • une licence d’art,
  • deux licences professionnelles : Guide conférencier et Métiers de la médiation par des approches artistiques et culturelles,
  • un master Etudes culturelles.

L’ensemble des centres de formation publics et privés doit être impliqué afin de concevoir des formations adaptées aux besoins.

Il y a nécessité d’un plan stratégique territorial pour mettre en cohérence tous les projets et les actions, ainsi que pour mobiliser tous les acteurs institutionnels et privés.

Il faut créer un répertoire des guides conférenciers.

10| Quelle part pourriez-vous prendre vous-même dans cette stratégie, quelle contribution pourriez-vous apporter ?

Chercher à faire avancer au mieux les dossiers qui relèvent directement de la CTM, pour la mise en valeur de son propre patrimoine : l’habitation GRADYS, villa des BOSQUETS, villa des TOURELLES.

Sensibiliser les élus en charge du tourisme vis-à-vis des musées, en favorisant la promotion des musées dans les salons et par les Tours opérateurs.

Renforcer l’attractivité des sites patrimoniaux du territoire.

Réhabiliter des patrimoines historiques par le biais de chantier d’insertion dans le cadre de la politique sociale de l’Etablissement Public de Coopération Intercommunale.

Recenser toutes les animations culturelles du territoire et faire l’inventaire de ce qui est touristique.

Travailler en synergie entre communes, EPCI et porteurs de projets.

Mettre en place une charte des opérateurs qui permettrait d’établir un standard minimum pour définir la qualité d’un site culturel et touristique, afin que les visiteurs sachent à quoi s’attendre.

Concernant la question d’ouverture et d’amplitude horaire, faciliter les évolutions, simplifier et avoir une offre complémentaire entre sites, mener les négociations nécessaires, car c’est vraiment un enjeu important.

Introduire une politique tarifaire mise au service d’une meilleure régulation des flux.

Promouvoir la création d’un Centre martiniquais d’expression culturelle (au Marin).

Mettre à disposition prioritairement des audioguides, des supports modernes de communication et d’information, créer davantage d’animations sur les sites.

Envisager la création d’une instance de concertation, groupe de travail territorial, ou observatoire du tourisme culturel.

Mettre en place un dispositif d’aide territoriale à la réhabilitation du bâti d’intérêt patrimonial à finalité touristique, en utilisant le partenariats public-privé.

L’enjeu, dans un contexte de forte concurrence des propositions culturelles et de loisirs caribéennes et américaines, est de travailler sur la pyramide des besoins (confort, sécurité, aménités, sens, reconnaissance, imaginaire…), ainsi que d’adapter et renouveler l’offre autant que nécessaire.

CONCLUSION

Valoriser et défendre nos atouts culturels dans l’offre touristique

L’action culturelle d’un territoire a toujours été de manière explicite ou tacite, un des atouts principaux du tourisme. L’une des conséquences de la crise sanitaire planétaire a été de révéler en Martinique comme partout ailleurs, l’intérêt manifesté par les populations pour retrouver son terroir, redécouvrir ses valeurs culturelles, son patrimoine matériel et immatériel, et de se ressourcer dans la nature en appréciant la beauté des sites dans le cadre d’un tourisme local intégré.

Ainsi, ce stock de ressources dans lequel nous puisons est en réalité le même qui doit figurer dans l’offre faite à la clientèle de visiteurs, et que nous avons besoin de valoriser pour les futures campagnes, en vue d’une relance du secteur touristique.

Des initiatives ont été prises durant la période de rupture du marché touristique comme de celui de la culture et des arts, en réaction aux difficultés des acteurs tels que les intermittents du spectacle, les établissements d’accueil de loisirs, les entreprises relevant du tourisme, montrant s’il en était encore besoin la fragilité des opérateurs et leur indiscutable interaction.

La relance attendue donnera l’occasion de reconstruire le catalogue culturel par des effets mécaniques liés à la levée des restrictions.

Mais si le marché local permet d’amorcer une reprise des activités, il sera aussi nécessaire d’aborder des questions de fond, en vue de proposer dans une stratégie globale des actions de revitalisation des secteurs concernés.

  • Améliorer la condition des artistes et intermittents du spectacle
  • Intégrer les groupements d’intermittents et organisateurs d’évènements, ainsi que les guides conférenciers accrédités, dans un espace d’échanges régulier permettant la discussion et l’évaluation du développement de l’offre touristique, hors hébergements et services
  • Renforcer la communication sur les atouts culturels et notre identité environnementale avec sa biodiversité et ses monuments naturels, par une présence systématique à l’occasion
  • les évènements du marché touristique international
  • Solliciter les initiateurs des médias internet de promotion et marketing touristique pour une interconnexion en faveur de l’harmonisation de l’offre culturelle dans le tourisme martiniquais
  • Elaborer une plaquette de synthèse des offres culturelles, patrimoniales et artistiques proposée systématiquement à l’arrivée de visiteurs, ou tout autre dispositif accessible numériquement.

Credits:

CESECEM, Flickr, Shutterstock