“Il n’a pas choisi, moi aussi j’aurai pu être alcoolique”
Ce sont les mots que se répètent sans cesse Marine, mère d’un fils alcoolique. Bien qu’il joue un rôle essentiel dans le quotidien de leur proche, l’entourage est trop souvent oublié. Eux aussi mènent un combat dans l’ombre contre l’addiction qui touche leur proche.
Une addiction peut toucher n’importe qui, n’importe quand. Choc émotionnel, hypersensibilité, les facteurs sont nombreux mais suffisent à faire basculer une personne dans la dépendance. Une addiction est le symptôme d’un mal-être et le témoignage visible d’une souffrance, d’une difficulté massive à affronter le quotidien. Elle se caractérise par un état de dépendance à un produit ou à une pratique comportementale. En raison d’un manque, cela entraîne une perte de contrôle physique, mais aussi mental. Les addictions concernent l’alcool, la drogue, les opiacés mais aussi les pratiques à risque comme les jeux d’argent et les jeux vidéos. Selon le ministère de la Santé, en France, près de 40 millions de personnes disent avoir essayé les substances psychoactives (alcool, drogues et tabac) et 20 millions présentent des conduites à risque. Ce chiffre ne relève pas la réalité des conséquences de ces pratiques addictives : beaucoup ne sont pas conscients de leur addiction et des répercussions sur leur entourage.
Pour la personne addict, comme pour son entourage, le changement de comportement est progressif. La chute par échelon dans l’addiction ne se distingue pas au premier abord. Aucune famille ne s’attend à ce que l’un de ses proches plonge dans ce puits sans fond de l’addiction. "J'ai commencé à me retirer un peu des choses, à ne plus vouloir voir le problème", témoigne Christine.
Son fils, hypersensible et réservé, découvre le cannabis vers l’âge de 16 ans. Mêlé à de nombreux règlements de comptes et problèmes avec d’autres jeunes, il finit par tout arrêter, et trouve un échappatoire dans la musique. Il va alors découvrir de nouvelles pratiques addictives.
Marine et Christine comprennent alors que leurs fils respectifs touchés par l’alcoolisme ne sont plus comme avant. C’est une réalité, leur fils sont malade. L’acceptation est un cheminement difficile et le combat qui attend l’entourage l’est d’autant plus. La lutte est commune. La fragilité de l’entourage a énormément d’impact sur les faits et gestes du malade. Il suffit d’une parole pour que le malade reparte dans ses travers. “Si une personne de notre entourage apprenait une maladie, je conservais l’information pour moi, pour éviter la rechute dans l’alcool”, témoigne Marine.
“Plus on lui disait de faire attention, plus il buvait”. Le premier réflexe des proches est de stopper la consommation de la personne concernée du jour au lendemain. “Quand je me couchais, je faisais un trait au marqueur sur la bouteille pour qu’il ne consomme pas dans mon dos. Le matin quand je me réveillais, je me rendais compte qu’il avait remplacé l’alcool par de l’eau”, se souvient Marine.
Ces femmes ont tout essayé pour lutter contre la maladie de leur fils, de la privation au conflit permanent. “Ne pas être dans l’opposition” répète Anaïs Moreau, infirmière au service addictologie du CHU d’Angers depuis 11 ans. "La contrainte n’est pas la solution", rajoute l'infirmière du CHU. Si le malade n’a pas entrepris lui-même la démarche d’aller à l’encontre de sa maladie, tous les efforts de l’entourage seront vains et ne feront que les plonger dans une souffrance commune. Être dans l’entourage proche d’une personne souffrant d’addiction peut pousser à se placer comme « sauveur », « infirmier » et se retrouver en situation d’échec.
L’entourage se projette plus volontiers dans la guérison que le patient et sont prêts à avancer dans cette épreuve beaucoup plus rapidement que le malade. "La famille ne peut aider qu’à partir du moment où le malade est lui-même prêt à avancer", abonde Anaïs Moreau. "Le chemin vers la guérison se fait ensemble". Le service médical du bloc addictologie propose des solutions et notamment des soins pour aider au sevrage. Pour les équipes médicales spécialisées, les familles sont des partenaires dans cette épreuve, elles sont dans la souffrance et pensent qu’elles n’arriveront jamais à sortir leur proche de cette situation. Emportées par la colère et l’incompréhension, elles sont souvent sous la menace et ont tendance à poser un cadre trop strict à leur proche : “Si ça recommence, on te met dehors”.
En tant que proche d’un addict, il n’a jamais été question de lâcher prise ou d’abandonner la personne malade. Il fallait seulement que la situation, pour le proche et l’entourage, s’améliore. Pour Christine et Marine, l’accompagnement a nécessité de la compréhension et de la considération. Tout ce que ces femmes souhaitaient, c’était retrouver leur fils. La solution, elles l’ont découverte en rencontrant l’association Al-Anon créé en 1962. Cette association, rassemblant près de 200 groupes en France, permet aux familles des Alcooliques Anonymes de se retrouver et d’échanger sur leur quotidien. Il existe énormément d’associations comme celle-ci qui traite de tous types d’addictions.
Marine a mis des années avant de passer la porte des Al-Anon. Ce jour-là, tout a changé. Elle a pris conscience qu’elle était malade et qu’elle était entrée dans une co-dépendance. Une prise de conscience qui n'est pas évidente pour toutes les familles. Beaucoup n'ose pas en parler.
Néanmoins, des familles sont isolées et ont honte de la consommation de leur proche. Tous n’ont pas la force de parler, tant la maladie est encore tabou dans notre société. C’est seulement en en parlant librement et en la reconnaissant que le jugement s'arrêtera. Addictions France est une association fondée en 1872, qui accompagne plus de 75000 personnes par an. Toutes les formes d'addictions sont traitées, en abordant les représentations caricaturales liées à celle-ci.
La souffrance de l’entourage, Axelle Martin y est confrontée chaque jour. Éducatrice spécialisée au sein de l'association Addictions France, elle rencontre au quotidien des proches de personnes malades. "Mon rôle est d’abord de les écouter, puis de comprendre les relations entre la personne malade et l’entourage afin d’apporter des clés pour permettre une meilleure communication". Son objectif est d’expliquer aux proches rencontrés qu’il n’y a pas de remède miracle. Le parcours pour sortir de la maladie passe par de multiples étapes dans lesquelles les proches jouent un rôle majeur.
Quand ces deux mères ont compris cela, leur relation avec leur fils a complètement changé. La colère a laissé place à l’acceptation de la maladie. Les familles ne sont plus dans le déni et dans le conflit, mais dans l'accompagnement.
“Vivre un jour à la fois, ça m’a aidé à avancer plus rapidement”. Cette devise du groupe Al-Anon, répétée aux différentes réunions, permet de motiver ces familles. L’idée d’un lendemain meilleur convainc ces familles, à aider leurs proches plutôt que sombrer avec eux. La compréhension de la maladie et l’arrêt de la répression sur l’addict, procure du soulagement à l’entourage. En éprouvant de l’empathie et de la compréhension, la personne ce sent prise en considération. Elle n’est pas toute seule dans cette épreuve.
“Je parlais pour moi, je l'accusait plus”
La libération devient alors individuelle et l’addict ainsi que le co-dépendant mènent deux combats bien différents. Ils arrivent alors à trouver des solutions de leur côté avant de trouver des solutions communes. “Quand il a vu que je ne le privais plus ou que je ne le réprimandais plus, il s’est dit lui-même qu’il devait arrêter".
“Quand quelqu’un dans une famille est malade, on parle très peu de l’entourage. Et finalement on est malade avec le malade.”
Aujourd'hui, c'est presque 3 millions de personnes qui sont traités quotidiennement dans des centres spécialisés. 3 millions de familles, qui se battent quotidiennement et bien plus de 3 millions de personnes souffrent de cette maladie. Pris dans la tourmente de l’addiction, il est nécessaire de prendre en considération l’entourage. Les proches ainsi que la famille traversent les mêmes étapes que la personne addict. La co-dépendance devient un fléau, au delà de la dépendance en elle même…
Auvinet Dorian, Petit Matteo, Bonnet Cyrielle
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