Réalisée le 05-06 novembre 2022
Souvent délaissé au profit des trois principaux autres massifs entourant la métropole de Grenoble, le Vercors, la Chartreuse et Belledonne, le Massif du Taillefer offre pourtant des paysages variés à cheval entre la haute et la moyenne montagne. Ce massif a la particularité d'être divisé en trois blocs : le plateau matheysin et ses montagnes à vaches, le chaînon du Grand Armet et le groupe du Taillefer avec son fameux plateau des lacs. Du côté de la Matheysine vous traverserez de vastes dômes herbeux où paissent de nombreux troupeaux en période estivale et vous contemplerez le vallon des lacs de Laffrey tout en ne dépassant que brièvement la barre des 2000m d'altitude. Alors que du côté du Grand Armet et du Taillefer, la haute montagne s'érigent au-delà des alpages, laissant aux randonneurs aguerris des points de vue sensationnels sur les massifs environnants, isérois notamment. Parce que oui, le Massif du Taillefer est l'unique massif de l'Isère à faire partie du département dans son intégralité.
Timidement, la neige a fait son apparition sur les Alpes. L'agglomération grenobloise se retrouve encerclée par les monts enneigés. De quoi inciter ses habitants à partir crapahuter pour avoir la chance de divaguer dans les quelques centimètres d'or blanc tombés ces derniers jours. Les quantités restent cependant assez faibles en montagne même si la progression sans équipement, au delà de 2500m, semble délicate et légèrement périlleuse. C'est pourquoi nous évacuons d'office une ascension du Grand Taillefer 2857m, point culminant du massif. Nous partons sur une première ascension du plateau des lacs, perché aux alentours de 2000m d'altitude, puis, une fois en haut, nous jugerons si une ascension du Grand Galbert 2561m est envisageable ou non.
Le Grand Galbert est un sommet assez discret face à l'imposant dôme du Taillefer et ses multiples antécimes. Si le Taillefer comble le Sud du plateau des Lacs, le Grand Galbert émerge au Nord-Est de celui-ci. Entre ces deux sommets, le plateau des lacs s'étend sur des kilomètres carrés où lacs, marres, étangs et tourbières parsèment son alpage. C'est un classique de la région grenobloise car en à peine une heure et demi de marche vous vous retrouverez totalement dépaysés dans l'immensité de ce plateau où sa majesté le Taillefer règne en maître au-dessus de ses lacs. De là-haut, une vue dégagée sur Belledonne, les Grandes-Rousses, les Ecrins et les Aiguilles d'Arves s'offre aux randonneurs en quête de grands espaces. Et malgré la proximité de vallées urbanisées et industrielles, le caractère sauvage des lieux reste plein et entier. Ce plateau invite le randonneur à se perdre pour découvrir les moindres lacs, cabanes et points de vue que ce lieu cache tout en ayant le Taillefer et le Grand Galbert comme points cardinaux.
Au départ du Lac du Poursollet, caché au milieu de la forêt de conifères, nous commençons notre ascension en direction du plateau des lacs. Nous effectuons nos premiers pas dans le fin manteau blanc qui recouvre le Massif du Taillefer. Notre objectif ? Partir à la recherche de la Cabane de la Jasse pour y passer la nuit.
On démarre dans une ambiance très ''canadienne'' : un lac bordé d'immenses sapins saupoudrés de neige où quelques chalets s'y cachent par-ci par-là. Le calme est palpable en ces lieux : l'absence de vent permet un reflet quasi parfait des abords du Lac du Poursollet et la mer de nuages pétrifie davantage le paysage déjà figé par cette première poussée de l'hiver.
La route du Poursollet est une route saisonnière. Reliant le village de La Morte et les Chalets du Poursollet, cette voie est fermée à la circulation à partir du 31 décembre de chaque année sauf épisodes neigeux précoces. Au-delà, une bonne partie de ses 9km se transformeront en piste de ski de fond.
La tombée de la nuit se fait sentir. Il nous faut donc progresser plus sensiblement en direction de la Cabane de la Jasse. Cette dernière est cachée quelque part dans l'alpage, sans qu'aucun sentier balisé n'indique sa position. Il n'y a personne sur le plateau mais l'affluence de la journée nous a laissé quelques traces à suivre pour nous faciliter la tâche. Bien que l'épaisseur ne dépasse pas les 15cm, le vent a créé par moment de grosses congères masquant les multiples sentiers qui quadrillent la zone. On quitte donc le Lac Fourchu pour longer ses petits voisins que sont le Lac Culasson, le Lac Noir, le Lac de l'Agneau et le Lac de la Veche.
On commence à mettre le turbo pour trouver la cabane. Il n'est pourtant même pas 18h. On continue encore quelques centaines de mètres sur le GR50 avant de partir hors sentier en contrebas du Pas de l'Envious. Le réseau est bien présent sur le plateau ce qui facilite la progression au crépuscule.
Par chance, aucun autre bipède n'a pris possession de la cabane avant nous. Et fort heureusement car la place est limitée dans cette petite installation. La Cabane de la Jasse est perchée à un peu plus de 2000m d'altitude. Elle fut totalement rénovée et aménagée en 2017 par le Parc des Ecrins en collaboration avec la commune d'Oulle. Une grande partie du Massif du Taillefer faisant partie de l'aire d'adhésion du Parc National des Ecrins. Bien que relativement rustique, cette cabane est équipée d'un poêle, de tables, de chaises, de meubles contenant tout type d'ustensile de cuisine, d'une bonbonne de gaz mais aussi, et surtout, de deux planches de bois pouvant accueillir une dizaine de randonneurs à la recherche d'un minimum de confort lors de leur aventure sur le plateau. Si vous être 10, il va falloir jouer à la courte paille car seulement 5 matelas et quelques couettes sont mis à la disposition des randonneurs. Ils sont d'ailleurs étrangement suspendus à des fils traversant la cabane de part en part pour éviter qu'ils ne finissent déchiquetés par les rongeurs du coin. Bien que le poêle soit à la disposition des usagers, il faut penser à ramener un petit fagot de bois pour s'en servir. En effet, très peu d'arbres poussent sur le plateau et déjà que les petits sapins présents aux abords de la cabane ont dû mal à grandir dans cet environnement, il ne faudrait pas non plus s'en servir comme bois de chauffage.
Après avoir pu déguster de magnifiques conserves réchauffées au feu de bois, nous nous apprêtons à sombrer dans nos duvets. Mais avant, un petit tour dehors pour voir les Alpes éclairées non pas par le soleil mais par la Lune cette fois-ci.
Contre toute attente, la nuit fut douce et plutôt confortable. Seule la forte odeur de fumée pouvait déranger nos narines par moment mais globalement, on ne s'attendait pas à dormir aussi bien dans cette cabane.
Mais sur les coups de 6H30, nous sortons radicalement de notre cocon de chaleur pour affronter la bise matinale. La raison ? Le lever du soleil ne devrait pas tarder au-dessus des Alpes. La Bergerie de la Jasse est d'ailleurs idéalement orientée puisque la vue est dégagée sur l'axe Sud-Sud-Est.
En l'espace de quelques minutes, le ciel des Ecrins s'enflamme avant même que les sommets ne soient frappés par les premiers rayons. La luminosité et le ciel décalquent parfaitement le Massif des Ecrins. En regardant ce tableau mouvant, on n'en oublierait presque les picotements du froid à nos pieds, à nos mains et sur notre visage.
Le beau temps et la faible quantité de neige nous convainquent de partir à la conquête du Grand Galbert en cette seconde journée sur les plateaux du Massif du Taillefer. On remet en ordre l'intérieur de la bergerie puis l'on s'équipe pour la traversée.
Durant une bonne partie de la montée le sommet du Grand Galbert est visible. Bien qu'il semble proche, la perspective nous dessert car c'est une longue traversée qui permet d'atteindre son arête sommitale. Cette progression se fait sans réelle difficulté tant la visibilité est bonne. Cependant, il n'y a aucun sentier balisé qui permet de relier le Refuge du Taillefer au Grand Galbert. Quelques cairns parsèment l'arête et le vallon du Ruisseau de l'Echaillon. Il est préférable d'emprunter la large Arête de la Séa, la vue sur le plateau et les massifs du coin est plus impressionnante et la visibilité en direction du sommet est meilleure. Avec ce type de relief, le brouillard peut vite compliquer l'ascension du Grand Galbert.
Situé à l'extrémité Nord-Est du Massif du Taillefer, le Grand Galbert se situe à l'épicentre de la région que l'on appelle plus couramment l'Oisans. C'est-à-dire, globalement, la partie Sud-Est du département de l'Isère avec les groupes montagneux entourant la commune du Bourg d'Oisans, à savoir : le Massif du Taillefer, le Nord du Massif des Ecrins, la partie iséroise du Massif des Grandes-Rousses et du Massif des Arves avec le Plateau d'Emparis notamment. En plus de ces massifs de l'Oisans, le célèbre trio grenoblois compose le reste du panorama du Grand Galbert : Vercors, Chartreuse. Belledonne.
Après avoir engloutis quelques friandises au sommet, on se remet en marche pour entamer la descente vers le Lac du Poursollet. Le relief environnant, peu abrupt et majoritairement composé d'alpages, permet aux randonneurs qui le souhaitent d'effectuer un circuit qui encerclera la quasi totalité du plateau des lacs et ainsi réaliser une boucle parfaite entre le Grand Galbert et le Poursollet.
Avec le Plateau d'Emparis, le Plateau des Lacs (ou du Taillefer) est également classé Site Natura 2000. En effet, sa biodiversité est exceptionnelle et rare. Ce plateau constellé de lacs résulte directement de la fonte des glaciers il y a 12 000 ans de cela. Ainsi, les zones humides, les lacs et les tourbières qui s'y sont formés permettent la prolifération d'une faune et d'une flore très spécifique dans les Alpes. Les tourbières reproduisent en partie le climat d'antan, conservant ainsi des espèces en voie de disparition. Les conditions climatiques et naturelles permettent ainsi l'épanouissement d'une faune et d'une flore subarctique à seulement 2000m d'altitude dans les Alpes françaises.
Il est donc nécessaire de rester le plus possible sur les sentiers balisés. On se demande ainsi pourquoi certaines portions ne sont pas mieux balisées, comme celle menant au Grand Galbert. Essayez de suivre tant que vous le pouvez les cairns (s'il y en a) et l'Arête de la Séa qui permet d'éviter les zones humides (le berger du Grand Galbert reste un privilégié !).
Malheureusement pour les férus d'or blanc, le redoux se met déjà en place sur les Alpes. Les forêts n'ont même pas eu le temps de se débarrasser de cette fine couche de neige, qu'elle fond déjà à grosses gouttes sur les branches des résineux peuplant les lieux. On poursuit vers le Lac du Poursollet en zigzagant entre les gouttes. Plus que 3km avant de terminer cette boucle autour d'un des plus beaux plateaux des Alpes iséroises.
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ITINÉRAIRE DE LA RANDONNÉE :