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Ode à Ali Gautham Krishnaraj (stagiaire en GDI, Programme pour la petite enfance dans les madrasas)

Il est 3 h 15 du matin, et mon téléphone sonne. Je me suis habitué à me réveiller plusieurs fois pendant la nuit – une des nombreuses compétences qu’on acquiert lorsqu’on vit dans deux fuseaux horaires. Tandis que mon séjour à Mombasa tire à sa fin, le nombre de courriels en provenance du fuseau « Heure normale de l’Est » a augmenté sans relâche, et il est devenu presque normal pour moi de me réveiller à 2 h du matin pour une entrevue Skype. Mais aujourd’hui, c’est différent. L’appel est d’Ali, qui m’annonce que sa nouvelle fille, Malaika (« ange », en swahili), est née, et que mère et bébé sont toutes deux heureuses, en santé et au repos.

Lorsque je l’ai connu, Ali, comme la plupart des personnes que j’ai rencontrées au Kenya, faisait de son mieux pour survivre dans des conditions moins qu’idéales (explosions, élections interminables, restructurations organisationnelles). Je venais d’arriver à Mombasa, et j’avais réservé les services d’un chauffeur tous les jours. Mais lorsque j’ai appelé mon chauffeur le premier matin, j’ai appris que sa voiture était en panne. J’ai rapidement hélé un tuk-tuk, ce merveilleux véhicule à trois roues qu’on voit partout dans les pays en développement, et je suis monté à bord. Un petit haut-parleur rose vissé au plafond produisait un vacarme de musique pop des années 90, un énorme collant de YMCMB était apposé à l’une des « fenêtres », et il y avait des collants de Hannah Montana partout. Dans le rétroviseur, Ali m’a décoché un sourire que je n’oublierai jamais tandis qu’il a enfoncé l’accélérateur. Je savais que j’étais entre bonnes mains.

Matatus et tuk-tuks sur les routes encombrées de Mombasa.

À partir de ce jour fatidique, Ali est devenu mon chauffeur, mon traducteur, mon homme à tout faire, et mon ami. Il a rencontré tous les autres stagiaires qui ont visité Mombasa, et ils ont tous eu la même réaction que moi à sa chaleur. J’ai appris de nombreuses choses à l’arrière de son tuk-tuk. Son frère est devenu mon instructeur de swahili (« G, tu dois sentiiiir le mot! »), et Ali lui-même est une fontaine de sagesse accumulée auprès de ses clients passés. Parmi mes histoires préférées est sa réponse lorsque je lui ai demandé pourquoi je devrais continuer d’utiliser son tuk-tuk au lieu des autobus matatu, beaucoup moins chers :

G, une fois un Britannique m’a dit ceci : faible prix, faible qualité. Vous pouvez prendre un matatu et épargner dix dollars par semaine. Imaginez qu’un jour, vous oubliez votre téléphone ou votre ordinateur dans un de ces bus. Vous ne le reverrez jamais. Vous avez économisé cent dollars, mais vous avez perdu mille dollars. Si vous prenez un tuk-tuk ou un chauffeur, vous paierez un peu plus chaque fois, mais vous serez en sécurité et en paix. Donc le bon marché est un mauvais marché. Faible prix, faible qualité.

Je dois souvent me rappeler qu’Ali et moi avons exactement le même âge. Lorsqu’il sourit, ses joues se plissent comme des élastiques tirés qui retiennent sa joie. Pas facile d’être jeune au Kenya : le taux de chômage n’a jamais été aussi élevé, et l’incertitude politique a grandement réduit le tourisme. Le travail, si vous en trouvez, est mal rémunéré, si bien que tout le monde a une petite entreprise à côté, par nécessité et non par ennui. Tandis que je prends place sur le siège arrière du tuk-tuk ce matin, je demande à Ali pourquoi il n’était pas à Mariakani avec sa femme et sa nouvelle fille. « Je dois travailler! », répond-il en riant. Pour ma part, je sens mon cœur briser. Je veux absolument qu’il tienne sa fille dans ses bras aujourd’hui, et je lui annonce que je prendrai la moitié de la journée de congé pour que nous allions voir sa fille ensemble.

Son visage s’illumine d’un sourire plus radieux que le soleil. Et quelques minutes après, nous pénétrons un petit groupe de maisons en argile et en béton recouvertes de toits en tôle au milieu d’un champ.

Des maisons comme celles-ci sont communes à Mombasa.

J’entre dans la maison familiale d’Ali. Des planchers en béton et des fenêtres en carton, une porte-rideau qui flotte au vent. Trois couches recouvrent les murs, et les sièges sont rapidement occupés par des proches. Tout ce que j’ai appris sur le développement de la petite enfance au cours de mon séjour à la madrasa défile dans ma tête, et j’essaie de partager ces connaissances en swahili hésitant tandis que la belle-mère d’Ali rit à grandes dents et qu’une horde d’enfants du voisinage accourt pour voir le muzungu (étranger) et le nouveau bébé. J’offre mon cadeau – un livre du Dr Seuss intitulé Oh the Places You’ll Go – et je demande à Ali de lire à sa fille tous les jours et de la serrer dans ses bras chaque fois que possible. Je sais qu’il le fera.

Je me sens honoré d’être dans cette pièce. Et j’aperçois Ali qui tient sa fille Malaika dans ses bras, radieux de fierté.

Et elle a le sourire de son père.

Gautham Krishnaraj faisait partie de la cohorte 2017-2018 du Programme international de bourses de jeunes. Il a fait son stage en programme de la petite enfance de la madrasa au Kenya.

Depuis 1989, la Fondation Aga Khan Canada contribue à la formation de jeunes leaders canadiens dans le domaine du développement international par le biais de son programme de stages en développement international.

Created By
Gautham Krishnaraj
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Credits:

Gautham Krishnaraj

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