Loading

Femmes dans l’espace public Et si on leur faisait une place ?

AUTO-DEFENSE

Développer le pouvoir d’agir

L’association villeurbannaise Impact propose des stages d’autodéfense féministe. Les participantes y apprennent les gestes pour se défendre physiquement, mais pas seulement.

« Impact est une association de prévention des violences liées au genre. Les stages travaillent la posture, la manière de regarder, de prendre la place, de poser sa voix. Autant d’aspects qui permettent d'augmenter l'estime de soi et le sentiment de légitimité », explique Mélanie Richter, responsable d’Impact. Il s’agit en fait de déconstruire les représentations. « En tant que femmes, nous apprenons à mettre en place des comportements d'évitement pour nous protéger, du fait de règles implicites portées par la société. Par conséquent, les femmes n'occupent pas les espaces de la même manière que les hommes et ont tendance à se restreindre dans leurs déplacements. Les stages viennent “casser” ces idées reçues pour agrandir les possibilités de choix. »

TÉMOIGNAGE

Je me suis réapproprié ma place dans l’espace public

Il y a sept ans, Chantal, 55 ans, suivait un stage d’autodéfense féministe. « Ça a changé ma vie ! Les femmes sont socialisées pour sourire, prendre soin des autres, faire plaisir. On nous dit que nous ne sommes pas de taille, qu’il vaut mieux être accompagnées. Le stage m’a appris à me mettre en position de sujet et non d’objet. Moi qui avais peur de marcher du métro à chez moi, je n’y pense plus. Je veux faire tout ce que je me suis interdit de faire parce que j’ai été socialisée comme une fille. Je fais du Kravmaga et j’ai suivi un master de gender studies. Quant à mon regard sur l’espace public, il est dorénavant féministe : l’exposition du corps des femmes, l’inadaptation des horaires de transports à nos trajets, le manque de toilettes publiques, tout me saute aux yeux. »

MILITANTE

Si, si, les femmes existent !

Contre l’oubli qui frappe les femmes, la comédienne, metteure en scène et autrice Anne Monteil-Bauer se bat pour donner à voir “le matrimoine”.

L’association villeurbannaise Si, si les femmes existent partage depuis mars 2017 « les destins des innombrables femmes coincées dans les oubliettes de l’histoire ». Son site web recense déjà 300 fiches consacrées à des autrices, peintres, inventrices, scientifiques, politiques… L’association produit et commercialise également deux jeux de 7 familles présentant des femmes remarquables, et aiguillant vers celles, nombreuses, qui n’y figurent pas. Le dernier né, Résistantes, est sorti en février. Anne Monteil-Bauer écrit et joue aussi des conférences gesticulées, forme théâtrale adaptable au lieu et au public. Fort de quatre spectacles (dont La véritable histoire du

8 mars ou encore Si, si, les femmes peignent… et depuis longtemps), le répertoire de l’association s’enrichit de sept nouvelles productions en 2020-2021 sur le thème “Années folles et résistances, parcours de femmes entre 1920 et 1945”. « Si, Si, s’inscrit contre la tendance à s’arrêter à LA femme exceptionnelle, qui entretient l’idée de la rareté. Je rêve du jour où l’histoire sera enfin mixte. En attendant, je me concentre sur celle des femmes, car elle existe et personne ne la raconte », conclut Anne Monteil-Bauer.

www.sisilesfemmes.fr

3 questions à

Pascale Lapalud, urbaniste et Chris Blache, ethnosociologue, co-fondatrices du collectif d’innovation urbaine Genre et Ville

Quel état des lieux dressez-vous des inégalités entre femmes et hommes dans l’espace public ?

La différence profonde de place réservée aux hommes et aux femmes dans l’espace public s’observe à l’œil nu. Nos recherches démontrent que les femmes, qui représentent 52% de la population, sont une majorité discriminée dans tous les champs de la vie publique. Non seulement ne sont-elles légitimes dans l’espace public qu’à travers la fonction qu’elles y remplissent (accompagner les enfants à l’école, faire les courses). Mais en plus ces fonctions sont empêchées : la combinaison de plusieurs modes de transport est par exemple beaucoup plus compliquée alors qu’elle est essentielle dans les trajets hachurés des femmes.

Cela commence-t-il à changer ?

Très peu. Depuis les années 1980, la question du genre a été intégrée dans l’enseignement de l’urbanisme dans le monde anglo-saxon. Cela n’a jamais été le cas en France. On reste dans la mentalité du “faire pour”, alors qu’il faut “faire avec”. Prenons un exemple : la problématique de la sécurité, systématiquement mise en avant. Si l’on pose à des femmes la question de leurs besoins en ville, la sécurité apparait tard : elles ont d’autres choses à gérer au quotidien. Il est essentiel d’aborder la place des femmes dans l’espace public sous tous les angles : économique, sociétal, urbain...

Que conseillez-vous pour une approche plus incluante de l’aménagement public ?

Il faut s’assurer de donner des temps de parole égaux à tous les usagers lors de la concertation. Ensuite, il faut réfléchir à ce qui exclut. C’est souvent le cas des espaces sportifs, tandis que les espaces de loisirs permettent à tous de s’y projeter. Plutôt qu’un terrain de foot réservé à ceux qui le pratiquent pourquoi ne pas proposer des espaces verts utilisables aussi bien pour le foot que pour s’arrêter en famille ou discuter entre amis ? Un guide pratique destiné aux professionnels de l’urbanisme est en relecture au sein de la Métropole de Lyon.

4 questions à

Agathe Fort, adjointe à la Ville inclusive, à la lutte contre les discriminations et à la santé

Dans votre parcours militant, la question de la place des femmes dans l’espace public est importante ?

Je fais une conférence gesticulée intitulée Balance ton corps où j’aborde effectivement cette question. J’ai beaucoup réfléchi sur le sujet, ainsi que sur le harcèlement de rue. Sans oublier que la majorité des violences sexistes ont lieu au domicile, le retrait de l'espace public, dû au confinement, a conduit certaines femmes à prendre conscience de la pression sur leur apparence physique, exprimée tant dans le souci de leur apparence que dans le harcèlement de rue quotidien. Profitons de cet évènement tellement marquant pour chacune et chacun d'entre nous, pour réinvestir l'espace public, mais cette fois à égalité !

La loi a pourtant changé et est censée offrir plus de protection aux femmes ?

C’est vrai que les lois du 3 août 2018 ont créé l’outrage sexiste. Contrairement au harcèlement, il n’est pas nécessaire ici d’avoir une notion de répétition des actes. Le droit vient nous appuyer de plus en plus, mais c’est encore insuffisant : les outrages et le harcèlement de rue continuent. Il faut s’interroger collectivement pour savoir comment aller plus loin. Le droit doit être couplé à une éducation à l’égalité et à égalité. Si l’égalité est présente dans la loi, elle ne l’est pas dans les faits. Elle est pour autant condition de la liberté. Le chemin est encore long.

Le rôle des élus est donc nécessaire pour une prise de conscience collective ?

Le sujet doit clairement être saisi par tous les élus afin de nous permettre de parcourir plus vite le chemin entre ce qui est et ce qui devrait être. L’horizon est désormais de changer les mentalités, en travaillant, entre autres, en lien avec le tissu associatif. Au niveau de la Ville, on voit que les choses avancent avec, par exemple, les cours dégenrées (ce qui va au-delà de la simple végétalisation), pour apprendre aux filles à occuper l’espace public, ce qui est une question centrale. Cela se traduit par la régulation des jeux de ballons, la gestion de l’espace, des matériels urbains comme les bancs qui ne soient pas fixes, l’intervention des adultes… Tout cela ne peut qu’avancer grâce au politique en agissant sur tous les leviers, de la crèche à l’école, dans les équipements publics, en travaillant sur l’éclairage public, etc.

Outre l’éducation des plus jeunes,

l’égalité femme-homme doit impliquer tout le monde…

Oui et je serai vigilante à ce que toutes les femmes du territoire soient concernées quel que soit leur âge, leur quartier, quelle que soit leur origine, leur catégorie socio-professionnelle… Il faut reconnaître les situations de vie de toutes les femmes pour en tirer des leçons pour le plus grand nombre. La lutte pour l’égalité femme-homme ne doit pas cacher les autres discriminations.

Cyprian-les-brosses

À la maison sociale, l’égalité se travaille au berceau

La lutte contre les discriminations et, plus particulièrement, pour l’égalité femmes/hommes est devenue un des thèmes centraux à la maison sociale Cyprian-Les Brosses.

« En 2015, tandis qu’un groupe d’habitantes se penchait sur le vivre ensemble après les attentats, le pôle petite enfance se lançait dans un projet d’éducation non genrée avec l'institut EgaliGône », explique l’équipe. « Dès la petite enfance, nous avons constaté qu’une éducation différenciée se mettait en place sans que l’on s’en aperçoive. Résultat, les enfants se retrouvent enfermés dans des cases », explique Stéphane Coux, directeur de la crèche. Son équipe s’est alors concentrée pour traquer les réflexes genrés dans le choix des jouets, la littérature et le langage. « Si une fillette arrive avec une nouvelle robe, plutôt que lui dire “que tu es jolie” nous demandons “est-ce qu’elle te plaît ?” ». Cette attention s’est diffusée à l’ensemble des activités de la maison sociale.

« Nous souhaitons être des acteurs de l’éducation populaire contre les déterminismes », conclut l’équipe. Dans cette logique, la maison sociale propose depuis l’an dernier des stages d’auto-défense féministe, aussi bien aux adultes qu’aux adolescentes.

Maison sociale Cyprian-Les Brosses : 4, rue Jules-Guesde – tél. 04 78 68 69 70

Crédits : Ville de Villeurbanne