Le 4 septembre 2017, un nouveau projet voit le jour. Éric Bouron et sa femme Marie-Astrid décident de s’investir dans un projet de restaurant associatif : « Chromosome Restaurant ». À la suite de leur rencontre avec Vincent Dupont, trisomique de 45 ans et actuellement parrain du restaurant, ils ont pour idée de permettre à des adultes trisomiques d’accéder au marché de l’emploi dans un cadre protégé mais proche de la réalité et établir ainsi un lieu de rencontre.
Éric Bouron occupe le poste de directeur de l’association. Expert-comptable de profession, il est codirecteur d’une structure employant 80 personnes sur 4 sites différents (Nantes, Rennes, Paris, Chateaubriand). Avec sa femme Marie-Astrid qui a quitté son métier d'orthophoniste depuis 2019, ils décident de mettre en place ce projet qui leur trotte dans la tête depuis de nombreuses années. Par le biais de dons provenant d’associations et d’entreprises, ils ont réussi à lever deux fois 250 000 euros afin de concrétiser leur projet.
Une idée qui nous trottait dans la tête depuis longtemps"
Différentes raisons les ont poussés à créer ce restaurant : leur goût pour la cuisine et l’envie de découvrir ce milieu, une certaine volonté d’entraide sociale, et finalement leur rencontre avec Vincent Dupont, un ami, qui les a particulièrement touchés.
Le concept du restaurant est simple : permettre à tout le monde de venir déjeuner du lundi au vendredi des plats cuisinés par les équipiers et bénévoles. Seuls les équipiers (personnel atteint de trisomie 21) sont rémunérés grâce aux recettes réalisées par le restaurant. Le reste du personnel est composé de bénévoles.
La clientèle est assez régulière. Il s’agit souvent de personnes qui connaissent déjà le restaurant, au moins de nom. Il y a beaucoup d’habitués et de clients de bureau qui viennent déjeuner.
Ici on ne vient pas que déjeuner, on vient prendre son Prozac”
Les clients sont très respectueux, bienveillants et ne portent jamais de jugement sur les équipiers et leur travail. Bien au contraire, ils les félicitent très régulièrement et apprécient discuter avec eux. Les clients disent revenir car les plats sont bons, que le service est bien réalisé et que l’ambiance du restaurant est très agréable. Le restaurant “vit, il est coloré”, l’ambiance est très axée famille. D’après Marie-Astrid “Ici on ne vient pas que déjeuner, on vient prendre son Prozac”.
Le jour de notre venue au restaurant, six personnes étaient présentes pour encadrer les équipiers. Eric et Marie-Astrid Bouron, que nous vous avons déjà présentés, étaient accompagnés de 4 autres bénévoles dont Matthieu D’Utruy qui reprendra les rênes du restaurant en février. En tout, l’association se compose d’une trentaine de bénévoles qui se relaient pour venir au restaurant. Les fréquences de venues et les profils des adhérents sont variables. Cependant, la majorité d’entre eux sont des personnes ayant un temps libre conséquent. L’association compte, entre autres, dans ses rangs, des retraités ou encore des mères au foyer.
Une des choses qui nous a marqués lors de notre venue au restaurant est la proximité et le lien qu’entretiennent bénévoles et équipiers. Nous avons trouvé en ce lieu une bulle de positivité, comme si celui-ci se trouvait à l’écart des problèmes du monde.
On a régulièrement le droit à des petits spectacles en fin de repas"
Selon Marie-Virginie Degommier (chargée de communication) et Florence d’Utruy (ancienne assistante auprès de personnes âgées), deux bénévoles que nous avons pu interroger, les équipiers sont très affectueux, spontanés et démonstratifs. Leur nature « sans-filtre » amène à des situations qui sont souvent drôles et touchantes. Elles nous ont notamment raconté qu’elles avaient régulièrement le droit en fin de repas à de petits spectacles (chant, danse, et j’en passe) de la part des équipiers. Pour ces deux femmes, venir au restaurant est extrêmement enrichissant. Elles éprouvent beaucoup de bonheur à accompagner les équipiers et se sentent mieux en repartant du restaurant que lorsqu’elles y arrivent.
Un projet culinaire atypique et audacieux
Pour rejoindre l’association, les motifs sont souvent les mêmes : apporter du bonheur aux gens, rejoindre un projet culinaire atypique et audacieux ou encore permettre à de jeunes handicapés de pouvoir s’intégrer dans la société. Certains comme Florence sont là depuis la création, d’autres comme Marie-Virginie sont arrivés en cours de route en entendant parler du restaurant dans leur entourage.
Il n’y a pas de critères particuliers pour rejoindre l'association à part être motivé à aider les autres et être assez disponible pour venir quatre fois par mois au restaurant. Les nouveaux bénévoles n’ont pas à passer de formation particulière et apprennent « sur le tas », au contact des équipiers. Lorsqu’ils sont au restaurant, les accompagnateurs épaulent les équipiers dans leurs tâches sans pour autant les faire à leur place.
Ces tâches vont de la confection du repas au nettoyage de la salle en passant par le dressage des couverts, le service et la relation aux clients. Certains bénévoles ont des rôles plus spécifiques. Marie-Astrid Bouron s’occupe, elle, principalement de la gestion des équipiers car elle a su développer des compétences pédagogiques importantes grâce à son passé d’orthophoniste.
Marie-Astrid nous a même fait part d’une histoire assez atypique : celle d’un bénévole « recruté » par un équipier.
L’environnement de Chromosome Restaurant est centré autour de ses équipiers, ce nom donné au personnel en situation de handicap afin d’oublier le cadre trop professionnel. Ces derniers sont moins d’une dizaine et se relayent tous les jours. Manon, 23 ans, est la seule équipière qui travaille tous les jours au restaurant. C’est elle qui s’occupe de la salle, qui descend les chaises des tables, qui met le couvert puis qui s’occupe de faire le service. Tout comme Manon, Suzanne, 22 ans, s’occupe aussi du service. Comme elle nous l’a dit “ j’adore faire le service car je peux parler avec les gens”.
Mais comment sont-elles arrivées dans ce restaurant ? Manon a toujours été passionnée par la cuisine, elle a fait deux stages : l'un dans un restaurant et l'autre chez un traiteur. Suzanne quant à elle a découvert le restaurant un peu par hasard en y mangeant, et l'a ensuite rejoint. Toutes les deux travaillent au restaurant depuis maintenant près de 3 ans. Suzanne ne travaille pas seulement à Chromosome Restaurant, où elle passe 2 jours, mais aussi 3 jours au Reflet, un autre restaurant qui emploie des personnes en situation de handicap. Elle était d'ailleurs ravie à l'idée de nous parler de sa vidéo avec MorganVS sur la chaîne Youtube Chef Extraordinaire, créée par l'association éponyme.
Le plus marquant dans ce restaurant est l’ambiance entre collègues. Comme Suzanne nous le disait : “Chromosome c’est une famille pour moi, une deuxième maison”. Les équipiers s’entendent très bien avec les bénévoles qui viennent et n'ont aucun tabou à propos de la maladie. Les équipiers gardent aussi contact entre eux, dans la vie quotidienne et surtout pendant les confinements où ils ont pu faire la cuisine ensemble, à distance. Suzanne nous a aussi expliqué qu’elle s'entendait très bien avec Vlad “son copain” mais aussi avec Manon qu’elle considère comme “sa deuxième soeur”.
Des rêves plein la tête
Manon était très contente car on rentre dans la période qu’elle préfère : Noël. Elle nous a longuement expliqué qu’elle adorait Noël et donc passer du temps avec sa famille et ses proches, leur offrir des cadeaux. Elle était donc aussi pressée de pouvoir le fêter avec les membres du restaurant et surtout de pouvoir faire le sapin.
Manon c'est comme ma soeur"
Suzanne est comme on pourrait dire une “grande rêveuse”. Elle adore les animaux, qu’elle a pu côtoyer lors d’un stage, avant de faire de la restauration. Ses plus grands rêves sont de nager avec les dauphins donc, mais surtout de rencontrer les 3 mousquetaires dont elle est une grande fan. Suzanne souhaite d’ailleurs être de plus en plus autonome. Elle a fait une requête à la croix rouge pour obtenir un appartement et habiter en collocation avec d’autres équipiers : Vladimir et Lily.
Tous les équipiers sont les vecteurs de la bonne humeur de ce restaurant, où le sourire est à la carte chaque jour.
A partir de février 2022, le restaurant va être repris par Matthieu D’Utruy, fils de Florence qui est bénévole au restaurant et amie d’Eric et de sa femme. S’il reprend le flambeau, c’est parce qu’Eric et Marie-Astrid ont décidé de partir faire un road-trip à vélo jusqu’en Chine pendant un an, un voyage qui ne les effraie pas plus que ça.
Alors qu’il est encore aujourd’hui ingénieur chez Airbus à Nantes, Matthieu reprend ce restaurant dans le but de “se fixer un nouveau challenge”. Grand passionné de cuisine depuis ses 14 ans, il n’a pas l’air inquiet de cette nouvelle vie, bien que ce soit sa première expérience de restauration professionnelle et de gestion d’équipe. On a pu voir qu’il s'entendait très bien avec tous les équipiers qui l’ont accueilli à bras ouverts lorsque nous sommes arrivés.
Une fois Eric m'a raconté qu'il avait raté la cuisson de la langue de bœuf , c’était immangeable et il a remboursé tous les clients”
Pour ce qui est de la restauration, il nous racontait : “Une fois Eric m'a raconté qu'il a raté la cuisson de la langue de bœuf (seul plat principal), c’était immangeable et il a remboursé tous les clients”. Il en rigolait, comme si au fond, ce n’était pas ça le plus important. Ce qui avait l’air de plus le préoccuper, c’était la gestion des stocks et des approvisionnements.
Du pain sur la planche
Matthieu souhaiterait apporter de nouvelles idées au restaurant. Pour cela, il a quelques projets en tête. Il aimerait notamment développer la communication sur les réseaux sociaux ou encore mettre au défi d’autres chefs nantais de réaliser un menu pour 10 €. Finalement, ce qui l’intéresse surtout autour de ce projet, c’est la véritable expérience humaine.
Il se pourrait bien par ailleurs qu’il reste plus d’un an aux commandes. Eric cherche en effet à monter un nouveau “Chromosome restaurant” dans le même secteur, sur l’île de Nantes, qu’il aimerait ouvrir en 2023. Ce restaurant reprendrait les mêmes codes que le Chromosome restaurant actuel. Il prendrait place au sein d’un pôle à but humanitaire créé par la Croix Rouge. Des logements neufs seront disponibles à proximité de ce nouveau lieu. Cela pourrait permettre à de jeunes employés handicapés de pouvoir prendre leur autonomie.
Quand on voit la synergie, l'émulsion collective et le bonheur engendré, on comprend aisément pourquoi ils souhaitent remettre le couvert...