L'Hebdo Lettres de janvier 2020 s'intéresse à l'enseignement de la langue en lycée . Que faire réviser aux élèves ? Comment aborder, puis rappeler des notions grammaticales ? Comment s'assurer qu'elles sont assimilées ? Comment préparer les élèves à l'interrogation orale en grammaire à l'Epreuve Anticipée de Français ?
Les exemples donnés portent parfois sur le programme de seconde : il a semblé aux enseignants nécessaire, pour aborder la subordonnée circonstancielle par exemple, d'apprendre aux élèves à la distinguer de la proposition relative. Néanmoins, à l'examen, lors de la session de juin 2020, en particulier lors des réunions de coordination et d’harmonisation, on recommandera que les examinateurs s'en tiennent au programme de première et en particulier aux objets d'étude vus dans l'année par les classes (négation, interrogation, subordonnées conjonctives ayant la fonction de complément circonstanciel), en partant du principe que le travail en langue s’est concentré, en première, sur ces notions-là.
Entretien avec Céline SALUZZO et Laetitia AGUT, enseignantes en lettres au Lycée René PERRIN d' Ugine, en Savoie toutes deux en charge de classes de première.
Quelles ont été les réactions des élèves lorsqu'il leur a fallu se mettre au travail sur les corpus grammaticaux, des exercices, autour de notions grammaticales ?
Laetitia AGUT répond : "Je n’ai pas noté un enthousiasme débordant mais pas non plus d’hostilité. Plutôt, un accord de principe, c’est à l’examen donc on va s’ y "coller". Et plus ça va, mieux ça se passe. Il me semble que le plus difficile pour les élèves c’est de retrouver une forme de rigueur : classer, analyser, respecter une logique. Néanmoins, je constate des progrès qui viennent liés à une pratique régulière." De son côté, Céline SALUZZO, ne note pas de réactions différentes de celles habituelles dans le cours de français (quand il s'agit de littérature, d'écriture ou autres). Néanmoins, l'enseignante constate des difficultés quand il a fallu se confronter aux corpus et aux exercices en raison d'une maîtrise limitée voire insuffisante des notions grammaticales pour pas mal d'élèves. "Maintenant que l'habitude est prise de leçons de grammaire ou de temps de grammaire (évalués ou non), cela paraît déjà rentré dans les rituels des élèves."
Comment avez vous constitué ces corpus ? Les exemples sont-ils classés ?
Nous avons essayé de constituer nos corpus en lien avec la séquence étudiée et de faire en sorte que, dans chaque corpus, tous les cas importants liés à la notion soient représentés ce qui signifie que les exceptions, les cas rares ou complexes ne figurent pas forcément dans nos corpus. C’est un moyen pour nous de gagner du temps dans le traitement des questions de grammaire. Il nous semble que le but du programme en grammaire est de sensibiliser les élèves à la langue et qu’ils soient capables d’en comprendre le fonctionnement, de l’expliquer sans pour autant être des grammairiens aguerris. Ce que nous attendons de nos élèves c’est qu’ils soient en capacité d’analyser et d’expliquer un fait de langue mais aussi de soulever/ de sentir un problème tout en disant qu’ils n’ont pas forcément de réponse (sur une notion ou sur une exception non traitées). Il nous paraît intéressant que les élèves développent des intuitions sur les faits de langue, cela montre l’attention qu’ils accordent à la grammaire et nous espérons que ceci ait un impact sur leur expression écrite. Étant donné la densité du programme de première et l'échéance du baccalauréat, il nous paraît essentiel de faire de la grammaire « efficace » et donc d'aborder les cas les plus courants, récurrents afin que les élèves soient en capacité de les réinvestir à l'oral (question de grammaire) et à l'écrit (qualité de la langue).
Quelles difficultés principales les élèves ont-ils rencontrées dans le travail sur la négation ?
La négation est globalement une notion maitrisée par les élèves qui ont su repérer dans le corpus les expressions de la négation grâce au lexique ou au sein d'une proposition. Néanmoins, les exercices de manipulations ne sont pas évidents pour un certain nombre (maitrise du vocabulaire insuffisante quand il s'agit de trouver les préfixes pour créer des antonymes, difficulté pour transformer des phrases affirmatives en phrases négatives partielles ou totales). A ce sujet, cette question de la négation totale et partielle est le second point d'achoppement de ce travail : très peu d'élèves avaient souvenir d'avoir abordé cette question au collège et ils ont eu des difficultés à différencier les deux, d'où la nécessité de détailler un peu plus longuement que prévu cet aspect de la séance.
Vous insérez dans la démarche une réflexion sur le style de l'auteur, ses objectifs vis-à-vis du lecteur : pourquoi introduisez vous cette réflexion stylistique dans des exercices de langue ?
Nous avons lié la langue et le style de l’auteur parce que pour nous ceci est indissociable et parce que nous souhaitions que la grammaire soit au service d’une meilleure compréhension des textes, d’une œuvre, qu’elle soit mieux maitrisée certes mais aussi qu'elle fasse sens. Par exemple, il nous a semblé intéressant d’aborder la proposition subordonnée circonstancielle lors de l’étude des Fables de La Fontaine. Ceci nous a permis de montrer comment La Fontaine enrichissait son récit. Nous sommes bien conscientes que cette attente ne figure pas à l’examen. Cependant nous ne voulions pas que les élèves aient le sentiment que le point ou l’exercice de grammaire est artificiel, qu’il arrive dans la séquence sans être motivé par le sens. Si l’élève ne crée pas de lien, il aura plus de difficulté à retenir les notions.
A l'oral, les élèves devront réaliser l'exercice de type : analyse ou manipulation d'une phrase ou d'une partie de phrase. Voyez vous quelques difficultés spécifiques des élèves qu'il faut cibler, et comment avez vous prévu de les travailler ?
Pour l'analyse, une des difficultés réside sans doute dans la diversité des remarques grammaticales qui peuvent être faites sur une phrase : pour l'élève, il s'agit de pouvoir faire le lien avec la leçon de grammaire qui a été étudiée (parfois bien avant dans l'année), de réfléchir aux notions, aux points de grammaire qu'il faut réinvestir dans la phrase. Une seconde difficulté consiste dans la « présentation » de la réponse à cette question : pouvoir montrer la construction globale de la phrase/d’une partie de la phrase à étudier, hiérarchiser et organiser les éléments de la réponse.
Quant à la manipulation, il est nécessaire que l'élève voie bien ce qui est attendu de lui, quel type de manipulation est demandé et qu'il sache quoi faire, sinon il se sentira perdu. L'idée est donc d'essayer de proposer une façon d'organiser sa réponse (valable à l'écrit pour les entrainements durant l'année et à l'oral pour l'épreuve orale), une carte mentale peut être une solution pour aller vite et avoir une représentation globale de la réponse.
Quelque soit le type d’exercice, il s'agit aussi d'avoir une pratique régulière de ce type d'exercice afin que cela devienne une habitude pour les élèves. Cela peut prendre quinze minutes (au maximum) à l’issue d’une explication de texte. On peut proposer un exercice de manipulation ou d’analyse sur une phrase du texte que l’on vient d’étudier, faire travailler les élèves seuls ou en binôme (5mm), analyser les propositions de quelques-uns et s’accorder avec eux sur la proposition qui semble la plus pertinente et expliquer en quoi elle est pertinente (10 mm). Cela peut aussi être donné en exercice à la maison.
Concernant les notions déjà maitrisées par les élèves : les élèves avaient-ils une connaissance correcte de certaines bases (la proposition conjonctive ou subordonnée circonstancielle, le style indirect et direct, la phrase simple, etc.) ou a-t-il fallu faire des révisions non prévues ? Sous quelle forme les avez-vous faites ?
Nous avons constaté que l’idée de "notions déjà maîtrisées" en grammaire est en fait un peu une vue de l’esprit car nous nous sommes vite rendu compte, du moins dans nos classes, que la grammaire s’oublie très vite (les exercices systématiques du collège sont maitrisés pour l'interrogation mais les notions précises disparaissent rapidement…). Comme nous avions compris lors des JDI que la question de grammaire reposerait sur de l’analyse logique et compte tenu du programme, il nous est apparu nécessaire de refaire un point sur la phrase simple et la phrase complexe et les modes de liaison entre les propositions. Nous avons donc consacré un travail de deux heures (observation + bilan = 1 h00 + réinvestissement durant 1h00 qui se composait de courts exercices de manipulation et d’un écrit d’appropriation débuté en classe et terminé à la maison = souvent des travaux de groupe) sur ces notions. Certes, ceci n’est pas au programme mais nous pensons que cela nous a fait gagner énormément de temps quand nous avons dû aborder la proposition subordonnée circonstancielle. Lors de la séance sur les circonstancielles, deux éléments nous ont paru importants : rappeler la notion de complément circonstanciel et distinguer la circonstancielle des autres subordonnées. Donc, dans une séance d’une heure (comprenant analyse du corpus + bilan) associée à une deuxième séance d’une heure (comprenant courts exercices + écrit d’appropriation à la maison), nous avons tenté de dire l’essentiel. C’est clair que nos élèves ne sont pas des spécialistes des subordonnées mais il nous semble qu’ils savent les distinguer en opérant les manipulations indiquées par les IO. Vous pouvez donc constater que nous avons 2 manières d’opérer : soit on intègre une séance spécifique de révisions dans une séquence, soit on intègre les notions à réviser dans la séance consacrée à une notion au programme. Cependant, nous faisons en sorte de ne pas dépasser le temps imparti à la question de grammaire.
Au sujet des leçons, de la révision d'une notion au programme : avez vous un problème de temps, comment l'avez vous résolu ?
Vu le programme d'œuvres imposées, le nombre d'explications de textes demandé, il semble clair que le temps est une donnée essentielle en classe de première. La grammaire, qui apparaît maintenant à part entière dans les épreuves du baccalauréat, demande évidemment un temps supplémentaire à trouver. Nous essayons donc de faire en sorte que chacune des activités de la classe de français soient au service les unes des autres. Par exemple, lorsque nous travaillons la relation maître/valet dans le parcours « La comédie du valet », nous avons choisi de travailler sur la négation car elle peut rendre compte de l’opposition, des tensions entre les deux personnages et être réinvestie dans les explications de texte. Nous privilégions aussi l’efficacité à l’exhaustivité ce qui signifie que lorsque nous traitons une notion, nous la réduisons à l’essentiel à savoir que nous faisons le choix de ne pas traiter les exceptions, les cas rares ou complexes.
Éléments sitographiques sur l'enseignement de la langue au lycée.
La ressource rappelle les principes de l'enseignement de la langue au lycée : la leçon autonome, le moment, le travail sur corpus (recommandé) et propose des exemples conduits en classe. L'atelier 1 propose de travailler sur les valeurs modales du verbe. L'atelier 2 est consacré à l'étude de l'opposition et de la concession. Enfin, l'atelier 3 se penche sur le travail à l'oral et plus particulièrement sur le développement logique du propos.
Ce travail reprend quelques principes importants évoqués notamment par Maurice Laurent dans Les jeunes, la langue, la grammaire (première publication en 2004) et dont s’inspirent, notamment dans notre académie, les formateurs de la grammaire en couleurs : il s’agit de travailler sur des exemples nombreux, créés pour la plupart par les élèves, qui manipulent avant de nommer le fait de langue, et produisent à l’oral/à l’écrit, liant les activités de langue à l’écriture, évoluant dans la phrase, sans segmenter à l’excès, mais à partir de modèles (« paradigmes », schémas, etc.) qu’ils déclinent.
L' exemple de la syntaxe de l’interrogation invite à lier langue et étude des textes : plusieurs activités montrent l’élaboration progressive d’une notion, en lien avec les épreuves de l’examen et activités d’explication de texte, avec le souci aussi, non pas d’en rester à la syntaxe, mais de faire le lien avec le sens et l’expressivité dans un texte littéraire (stylistique).
Un séminaire sur l'enseignement de la langue, bientôt, dans l'Académie de Grenoble ?
Séminaire ACRE : Agir pour Développer les Compétences Rédactionnelles des élèves.
Le 12 mars 2020, 9h-16h30, se tiendra la deuxième journée de séminaire sur la langue et les compétences rédactionnelles organisée par le groupe ACRE ( Améliorer les Compétences Rédactionnelles à l’Ecole ). Cette journée destinée aux enseignants portera sur la mise en œuvre des nouveaux programmes de grammaire en lycée et la poursuite des expérimentations sur l'enseignement de la langue menées en collège.
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Laila Methnani Pixabay