L'Hebdo Lettres de décembre 2019 s'intéresse aux entrées possibles dans la lecture d'oeuvres exigeantes en classe de lycée. Quelles difficultés se posent aux enseignants de Lettres ? Comment motiver et accompagner les élèves dans la lecture ?
En quoi le dispositif pédagogique déployé peut-il faciliter la rencontre entre l'oeuvre et son lecteur ?
Interview avec Claire RAFFIN, enseignante en lettres (USE : Unité Soins études du Grésivaudan), Professeure Dispositif Passerelle Lycée, Formatrice FTLV et DRH Rectorat
Avant tout, quelle principale difficulté voyez-vous dans la mise en œuvre des nouveaux programmes ? En particulier dans votre première séquence : vous avez choisi "La princesse de Clèves" dans l’objectif d’étude du récit et du roman.
C’est la difficulté d’accès aux textes : longueur, contenu, thématiques, etc. pour les élèves qui sont les miens.
Pouvez-vous donc nous présenter les élèves de première auxquels vous faites cours cette année ?
J’ai des premières générales qui ont été en rupture de scolarité (dispositif passerelle) et qui ont souvent fait une ou plusieurs secondes, mais chaque fois partiellement. J’ai aussi des élèves de première STMG qui sont à la clinique et qui ont aussi plusieurs années de rupture scolaire derrière eux .
Ces élèves donc ne lisent pas : c’est-à-dire ? Quel est leur profil de lecteur ?
Ils ont du mal à s’engager dans une lecture longue, ils ont des troubles de l’attention soutenue, des problèmes de sommeil (comme beaucoup d’adolescents mais majorés par l'anxiété). Ils éprouvent une difficulté d’accès au sens : pour La princesse de Clèves, des élèves m’ont dit : « On ne comprend rien, on perd le fil », et ils parlaient des phrases complexes. Ils n’arrivent pas non plus à comprendre les relations entre les différents personnages, ou à saisir les jeux à la cour (les rumeurs, etc.). Cette année, beaucoup sont dans une recherche de perfection et de maitrise, ce qui génère une anxiété massive : de fait, ils préfèrent éviter de lire plutôt que de se confronter à l’œuvre.
Quelle stratégie avez-vous donc mis en oeuvre pour faire entrer vos élèves dans la lecture intégrale de La Princesse de Clèves ?
Pour la lecture intégrale, ma stratégie a consisté à leur donner à lire des passages incontournables de l’œuvre, et à leur proposer des résumés du reste du roman . Les parties obligatoires étaient accompagnées de questions de compréhension. Ce travail a été donné à faire sur trois semaines, avec cinq questions par semaine à peu près. J’ai donc récupéré un devoir écrit : ils pouvaient me rendre le devoir soit chaque semaine, soit à la fin des trois semaines. Au bout d’une quatrième semaine, les élèves pouvaient m' adresser leur travail par courriel
Pourquoi avez-choisi ces délais et ce séquençage ?
Pour la responsabilisation, l’apprentissage de la décomposition d’une tâche complexe, mon premier objectif ; pour leur apprendre à s’organiser dans leur travail pour des tâches longues, dans l’optique de la préparation au supérieur (cela fait le lien avec 5 séances d'accompagnement personnalisé menées sur le thème « apprendre à apprendre »).
Quels sont les résultats ?
Les deux tiers des élèves m’ont rendu un travail (sept élèves sur neuf dans le dispositif). Je pense que ce travail est applicable à une classe ordinaire.
Pouvez-vous développer ?
Je proposerais de laisser le choix entre d’un côté une lecture intégrale, et des paragraphes argumentés sur des thématiques précises, et de l’autre la démarche que je viens de décrire. La princesse de Clèves est, à mon avis, difficile à aborder pour un élève présentant un trouble des apprentissages, comme la dyslexie, mais aussi ceux qui souffrent de TDAH. Il faut donc alléger la lecture en raison de plusieurs paramètres : la complexité de la phrase, le vocabulaire et les tournures du XVII ème siècle. Cela me fait dire que même une version intégrale audio serait difficilement abordable pour ces élèves, qui risqueraient de perdre le fil et de ne pas accéder au sens.
Pourquoi avez-vous fait ce choix d’un devoir maison écrit ?
Mon souci est que les élèves ne travaillent pas à la maison. Un travail de ce genre qui est fait à la maison me prouve qu’ils ont lu l’œuvre. On pourrait proposer aussi d’enregistrer les réponses au lieu de les écrire.
Mais en quoi la lecture d’extraits choisis permet-elle aux élèves de mieux comprendre ces phrases complexes qui leur font peur ?
Cela dédramatise l’effort, en quelque sorte : il y a un effort de lecture à faire, mais il est circonscrit dans la longueur du texte, guidé par des questions et limité dans le temps.
Mais comment avez-vous procédé pour la lecture cursive ?
Avec ma collègue de Lettres, Catherine Candé, nous avons échangé et décidé de donner le choix entre trois œuvres et je leur ai présenté les ouvrages : Indiana de Georges Sand, La tresse de Laetitia Colombani ou L’Étranger d’Albert Camus. Les trois ouvrages interrogent la place d’un personnage dans la société et sont d’époque et de longueur diverses. Je pense que la plupart va prendre La Tresse, parce que c’est un roman contemporain facile d’accès, en trois histoires tressées ensemble : une intouchable, une italienne dans les années soixante, et une avocate américaine dans un monde masculin. Il y aura présentation et débat à la rentrée, un travail oral de toute façon, qui reprendra la problématique du parcours sur la place d'un individu dans la société.
Comment permettre aux élèves d'aller vers une appropriation du texte littéraire ? Comment donner le goût de la lecture aux élèves ?
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Laila Methnani Pixabay