Par Julia Gley
La loi du code de l’éducation qui stipule que l’université française est ouverte à tous est connue comme une fierté française. N’importe quel titulaire du bac peut aller dans les filières générales de l’université : droit, économie, lettres, sciences… Comme n’importe quel titulaire d’une licence peut espérer entrer dans le master équivalent. L’université pour tous, vraiment ?
Cela fait quelques années que certains procès au compte goutte arrivent aux oreilles du grand public par le biais de la presse. Ils sont fraichement bachelier, en réorientation, titulaire d’une licence ou encore d’un master 1, et se sont vus refuser une formation. Un refus émis par l’université elle-même, ou depuis la plateforme admission Post-Bac (APB). C’est ce refus, souvent non motivé, qu’ils ont attaqué. Et ils ont tous gagné. Ils ont gagné un devoir d’inscription en urgence dans la formation de leur choix par les universités en question. Cela fait des décennies que la France parle d’instaurer une sélection à l’université, en licence mais également en Master 1. En réalité les universités l’effectuent déjà en toute illégalité. Ces sélections concernent l’entrée du premier et deuxième cycle universitaire. Deux cas de loi différents mais pour un même but : le droit à être admis et à poursuivre ses études à l’université, ainsi qu’une explicitation claire des critères de recrutement de la part des universités.
Le premier cas concerne l’entrée à l’université, qui se fait depuis 2011 depuis la plateforme admission post-bac. En théorie, cette plateforme formule une pré-orientation. En pratique, elle formule un avis qui n’a pas le statut de décision officielle mais qui agit comme telle. De plus, elle repose sur un algorithme dont toutes les variables n’ont pas été communiquées. Le second cas, plus ancien, concerne la sélection en master. Quand en 2007 la loi change les cycles de formation, elle change aussi les règles de sélection, mais n’y joint jamais un décret stipulant ses critères. En l’absence de décret, c’est donc une sélection en master illégale qui est pratiquée depuis dix ans. La multiplication des procès due à ces deux failles dans le système juridique de l’éducation supérieure a amené deux réactions différentes de la part le ministère. S’il promet d’ici à la rentrée 2017, une réforme de fond difficilement aménageable pour les sélections en master, il ne donne aucun signe devant le scandale de l’algorithme APB. Analyse de ce qui est légal ou non en deux actes de six scènes, dont le dénouement à la rentrée 2017 est encore inconnu.
La sélection à l'entrée de l'université
La faille du tirage au sort
Le code de l’éducation dispose en son article L.612-3 que « tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix » et en son article D.612-9 que les néo-bacheliers « ont le droit libre de leur université ». Il existe cependant une possibilité de sélection prévue par le Code de l’éducation, lorsque le nombre de demande est supérieur aux places en formation. Dans ce cas, l’article L.612-3 admet une sélection par l’université. Ces sélection doivent obligatoirement être effectuées selon trois critères : le domicile du candidat, sa situation familiale et ses préférences. Si une fois la répartition faite ainsi il reste encore trop de candidats, et parce que la sélection sur dossier à l’entrée de l’université est interdite, un tirage au sort est effectué. Les facultés préfèrent depuis toujours l’usage illégal du tirage au sort plutôt que de trouver une réforme.
En avril 2011 est instauré l’arrêté relatif à APB, définie par la Cnil comme « un téléservice de l’administration, qui permet au futurs étudiants de se préinscrire, de classer des vœux, de bénéficier de conseils d’orientations avant de s’inscrire administrativement dans l’établissement de leur choix ». Mais au fil des années la plateforme s’est transformée en outil de sélection des futurs étudiants par les universités. Il faut déjà rappeler que l’inscription sur APB est obligatoire puisqu’elle est la seule pré-inscription possible pour les jeunes de moins de 26 ans.
En réalité, aucun texte législatif ou réglementaire ne dit comment APB applique ces critères de tirage au sort. Ce qui attire l’attention de l’association des Droits des lycéens, qui déplore que la majorité des jugements rendus en France ne soit pas public.
Le plus ancien jugement concernant le tirage au sort sur APB que l’association ait trouvé date de 2013 et a été prononcé à Nantes, en faveur d’un étudiant refusé en STAPS, son premier vœu sur APB. Puis arrive la rentrée 2015, un vrai désastre. Début octobre, c’était plusieurs centaines de bacheliers qui n’avaient pas encore de place dans l’enseignement supérieur. « A la même époque en 2016, seul dix-sept bacheliers n’avaient pas d’affectation », assure Thierry Mandon, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur dans un article du Monde. Pourtant, la majorité des procès éclate en 2016. Au mois d’avril, l’association rédige à l’attention du ministère une demande pour que soit dévoilé le code source de l’algorithme. Entre temps, l’association, qui saisie la Cnil, cite un rapport n°2016-004 de l’Inspection générale de l’Education nationale en date de janvier 2016 portant sur « l’affectation en première année de licence dans les formations à capacité d’accueil limité » publié en avril 2016. Il confirme les doutes de l’association quant à l’irrégularité des traitements automatisés de données à caractère personnel effectué par le biais de la plateforme admission post bac. L’association communique en même temps une adresse e-mail sur les réseaux sociaux, et reçoit dans l’été plus de deux cent refus d’APB. Dans ce même article, le secrétaire d’Etat déclare pratiquer la sélection arbitraire par tirage au sort, illégale : « Si la psychologie et la médecine étaient concernées l’an dernier par le tirage au sort, cela ne touche plus que les STAPS ».
Dans une enquête, Rue89 dévoile qu’en juin dernier, le tribunal administratif de Bordeaux donne « raison sur le fond » à un étudiant recalé de STAPS et juge « le tirage au sort pour l’admission post-bac à l’université illégale. » Un jugement technique passé inaperçu.
APB est illégal... Et c'est tout ?
Il faut savoir que juridiquement, toute décision défavorable rendue par l’administration doit être motivée et écrite, afin d’offrir les droits de recours dans les délais convenus pour attaquer au tribunal administratif cette décision. A partir du moment où une décision défavorable n’est pas motivée, elle est illégale. « Le problème avec APB, explique Clément Baillon, président de l’association Droit des lycéens, c’est qu’elle ne rend pas officiellement une décision, mais un “avis de pré-orientation“ selon les termes officiels. En fait, c’est la fac qui prend la décision à laquelle on n’a jamais accès. Un avis n’a pas besoin d’être motivé, pourtant, quand l’étudiant se connecte sur sa session APB il ne dispose que de ce refus. » Un étudiant parisien a attaqué directement l’avis d’APB et le tribunal a rendu en sa faveur l’avis d’APB comme une décision officielle.
« Sur sa session APB quand on met la souris sur l’avis refusé, la mention « vous ne pourrez plus jamais postuler à cette formation pour cette session » apparait, ce qui veut bien dire que c’est une décision officielle… », Insiste Cément Baillon.
Si une partie du code source a bien été transmis en octobre, l’association la juge inutilisable. « Il manque la plupart des variables, APB prend-il en compte la situation familiale et le domicile ? Même ça nous l’ignorons. ». En tout cas l’analyse révèle ce que les membres de l’association savaient déjà : à savoir qu’il y a une présélection pour les licences en tension, pratiquée d’abord selon le secteur géographique du bac, puis du choix des vœux des candidats et enfin par tirage au sort. Rien à voir, donc, avec les trois critères de sélection légale. L’algorithme présente également deux particularités : il priorise les étudiants de l’étranger sur tous les autres, tandis que les étudiants en réorientation sont défavorisés, ce qui est illégal.
Ce qui a failli obliger un étudiant Nantais en réorientation à déménager en Martinique. Seul son huitième vœu là-bas avait été validé, contrairement à ses autres vœux à Nantes, son université d’origine. Pris de panique, il accepte ce huitième vœu sur la plateforme, qui s’officialise soudain en pré-inscription. C’est à ce moment qu’il contacte l’association. « Le recteur n’a jamais voulu justifier par écrit son refus, on l’a attaqué pour absence de réponse » précise son président. Le tribunal a estimé en août 2016 que sa validation sur APB ne préjugeait pas de son inscription effective, et que le coût du déménagement nuirait à sa situation. Il a condamné l’université de Nantes à inscrire en urgence l’étudiant dans la formation de son choix. Car les arguments de l’avocat de l’association, Maitre Merlet-Bonnan sont imparables :
L’article de la loi stipule que c’est au recteur de prononcer les inscriptions en fonction des trois critères évoqués. C’est ici un algorithme qui prononce les inscriptions, ce qui est illégal. De même, un des critères dévoilés à ce jour est l’académie de passage du bac, ce qui est aussi illégal. Un autre, la sélection sur dossier dont l’illégalité n’est plus à prouver, persiste. « Il existe même une loi Informatique et Liberté qui interdit de prendre une décision qui a des incidences sur une personne uniquement sur la base d’un algorithme, c’est ce qui est en train de se passer. » ajoute Clément Baillon.
Cette situation est dans tous les cas juridiquement illégale. Et d’ailleurs les étudiants gagnent systématiquement les procès contre l’Etat. Pourtant, la situation n’engendre aucune évolution de la part du ministère. Les Droits des lycéens, en tant qu’association, ne se positionne pas contre la sélection à l’entrée de l’université, mais demande à ne pas s’arrêter à la simple accusation. « Faites une loi qui autorise la sélection à l’entrée de l’université, ou supprimez le paramètre qui permet la sélection sur dossier ! », réclame l’association. Un manque d’honnêteté total de la part du gouvernement, qui ne donne plus de réponse depuis le dévoilement en septembre d’une partie du code source, alors que les inscriptions 2017 sur APB commencent dès janvier.
La sélection en master :
Dépoussiérer les vieilles lois
Les nombreux procès des étudiants refusés en master ont eux abouti sur une réaction à chaud du ministère, qui promet de profonds changements pour la rentrée. La sélection en master est insidieusement pratiquée un peu partout, et furieusement bataillée par l’UNEF notamment, parce qu’elle est illégale. Pour l’ancien avocat de l’UNEF, Maitre Van Der Vlist, il y a une faille principale. Elle vient de la loi LRU de 2007 qui a modifié les textes pour redéfinir les premier et deuxième cycle en Licence et Master. Auparavant le M1 amenait à un diplôme officiel, la maitrise, qui rendait de ce fait l’inscription en troisième cycle, le M2, sélectionnable. Mais le M2 est passé du 3e cycle au 2e cycle, sans modifier le décret associé. Il explicite : « Jusqu’alors, il n’était donc possible d’opérer une sélection en master que dans les formations inscrites dans le décret prévu à cet effet par la loi. Ce décret n’existant pas à ce jour, toute sélection était donc illégale. » « L’admission à une formation relevant du deuxième cycle ne peut faire l’objet d’une sélection basée sur les capacités d’accueil de l’établissent, le succès à un concours, ou l’examen du dossier des candidats, que si cette formation figure sur une liste limitative établie par décret. Cette règle s’applique tant pour les formations de première que de deuxième année master » précise la juridiction.
Cette première faille est trouvée par une avocate bordelaise, et ils sont par la suite nombreux à s’engouffrer dans la brèche. Elle engendre de nombreuses affaires portées au tribunal administratif dans lesquelles des étudiants recalés en M2 poursuivaient leur université, arguant l’illégalité d’une telle sélection.
En février 2016, le Conseil d’Etat déclare à l’issue d’un énième procès toute sélection en master illégale. Ce qui pousse l’Etat a publié le 27 mai au Journal Officiel un décret répertoriant 1300 formations, environ 42% au total, autorisées à fixer des capacités d’accueil limité et à sélectionner sur concours ou dossier. Ce décret avait été préparé par le gouvernement en vue de « sécuriser juridiquement » la prochaine rentrée. « Le problème, raconte Maitre Van Der Vlist, c’est que dans un certain nombre d’universités, la sélection s’est faite en dehors de cette liste limitative. On ne peut pas faire rentrer tous les M2 dans le décret, et faire de toutes les formations une dérogation. » Bien conscient qu’il ne s’agit que d’une solution juridiquement bancale et provisoire, le ministère de l’enseignement supérieur a lancé une concertation de quatre mois pour repenser sérieusement l’organisation des cycles de master.
Le 4 octobre 2016, un accord est signé sur la sélection en Master par l’ensemble des parties prenantes (Ministère, organisations étudiantes, syndicats et présidents d’université). Il crée un « droit à la poursuite d’étude en master » pour tous les titulaires d’une licence, tout en permettant aux universités un recrutement des étudiants à l’entrée du M1. Les universités pourront fixer des capacités d’accueil et l’admission sera par concours ou examen du dossier. En cas de refus, les universités devront communiquer leur décision ainsi que les motivations de ce rejet à l’étudiant.
Pour Thibault Guiné, président de l’UNEF Nantes, c’est un demi échec : « Nous sommes contre toute forme de sélection, car elle est anti-sociale. Mais on a fait au moins pire. »
La sélection du M1 au M2 devrait disparaître sauf pour deux filières en tension : droit et psychologie. Le ministère juge, à titre provisoire, les situations de ces filières particulières : le M2 de psychologie menant à une profession réglementée tandis que de nombreux concours de droit sont ouverts aux titulaires d’un Master 1. Le tout « en attendant une solution plus pertinente » précise le président de la FAGE. « Les étudiants actuellement en M1 ne sont pas concernés par la réforme, si leur master est cité dans le décret, il seront sélectionnés à l’entrée du M2. » ajoute l’ancien avocat de l’UNEF. Ce décret devrait être modifié d’ici à la prochaine rentrée.
Des réformes trop ambitieuses ?
Si aucun des master demandés par un titulaire de licence n’est obtenu, il pourra faire valoir ce nouveau droit à la poursuite d’étude auprès du recteur de sa région académique. Celui-ci lui proposera trois propositions d’admission, en accord avec les chefs d’établissement concernés. Ces propositions tiendront compte de l’offre de formation, des capacités d’accueil, du projet professionnel de l’étudiant, de l’établissement dont il vient et des prérequis des formations. Une des propositions de master devra concerner en priorité l’établissement où l’étudiant a obtenu sa licence ou à défaut un établissement de la même académie. « Au moins, ajoute Thibaut Guiné, quand un étudiant décroche une licence, il a automatiquement accès à un master complet. L’objectif poursuite d’étude, c’était primordial. » Si un étudiant obtient une admission en master qui implique une mobilité géographique, il devra bénéficier d’une bourse ou d’une prime à l’installation, le tout grâce à la création de fonds spécifiques d’aide à la mobilité prévue par le gouvernement. Ni le montant de ces aides ni la forme qu’elles prendront n’ont été précisés à ce jour.
La nouvelle plateforme trouvermonmaster.gouv.fr ouvrira en janvier 2017, et vise à regrouper l’ensemble des formations de master de l’Académie. L’idée de répondre à l’insuffisance de place en formation par la création d’une plateforme, non loin de rappeler les débuts d’APB, est plutôt mal reçue.
« Ce site n’a pas vocation à assurer une gestion des vœux », assure le communiqué du ministère. Il devra en revanche rassembler toutes les formations de Master, leur capacité d’accueil et une mise à jour en temps réelle des places disponibles. Ceci afin que lorsque le recteur propose trois vœux d’affection à un étudiant donc le premier choix aurait été refusé, il ait connaissance des places disponibles de toutes les formations master de l’académie, correspondantes au projet de l’étudiant. La plateforme en cours d’élaboration resterait « informative » d’après le ministère et permettrait de mettre en relation tous les présidents d’université.
Il faut considérer à présent le délai très serré dont dispose le gouvernement pour respecter ces engagements. Il faut d’abord voter la loi et la prise des textes réglementaires instaurant cette réforme, avec de nombreuses complexités pour qu’aucun étudiant ne se trouve sans M2. C’est sans compter que toutes les formations de master soient prêtes à proposer un cycle de recrutement à l’entrée du M1 dès avril. Il est probable que les filières de droit et psychologies ne soient pas les seules exceptions à figurer dans le décret listant les masters 2 autorisant à sélectionner. Ensuite, ce droit à la poursuite d’étude suppose une communication limpide entre les présidents d’université, selon le projet de l’étudiant. Durant les quatre mois restants jusqu’à avril, début des inscriptions en master, les universités auront à déterminer les capacités d’accueil de l’ensemble de leur masters, puis à les faire remonter jusqu’à cette plateforme, ainsi que les critères prévus à l’entrée de chaque master. Sans oublier de donner une indication en temps réel des places des master. Une réforme que certains jugent irréalisable dans les temps impartis.
Accueillir tout les étudiants, avec le choc démographique que connaît l’université actuellement, est-ce encore possible ? Dans les deux cas évoqués, le ministère refuse d’employer le terme de sélection, au profit d’une présélection, d’un avis de pré-orientation, ou encore dans le cas du master d’un recrutement. Mais si sélection il s’opère, autant la réglementer correctement, qu’importe son appellation. C’est que, comme dit plus tôt, l’université pour tous française est entrée au patrimoine mondial, et de fait, paraît intouchable. C’est ainsi des décrets sont créés pour protéger l’université d’une loi inchangée depuis le siècle dernier. Ou que la loi la plus connue du code de l’Education nationale est enfreinte sous couvert d’un algorithme. Deux failles du code de l’éducation qui révèlent les faiblesses de notre système d’enseignement supérieur. L’instauration du droit à la poursuite d’étude paraît toutefois être une option réalisable et en accord avec l’idéologie démocratique française. Mais il n’est pas aussi facile de réformer la loi sur l’entrée à l’université, et il semble qu’en l’absence de réponse du ministère, rien ne change sur APB d’ici les inscriptions courant janvier. On parle en revanche d’orientation renforcée, afin d’éviter l’échec de la première année et la réorientation. Une alternative, défendue par l’UNEF et que semblent partager les autres parties prenantes de l’université.
Interviews et récit par Julia Gley.
Credits:
©Anne-Marie Krauss