Marine Le Pen Au nom du père et du pas-de-calais

La fille Le Pen

Photo AFP
« On naît la fille de Le Pen ; on meurt la fille de Le Pen. C’est l’homme de ma vie. Il a construit la femme que je suis. » Marine Le Pen fataliste en 2004 sur TF1.

Jean-Marie Le Pen est le père central, absent, étouffant, libérateur, jouisseur, politique. L’homme au bandeau de pirate, le trublion aux vieux amis pétainistes et Algérie française, le rebelle anti-gaulliste visé en 1976 par un attentat à la dynamite à la villa Poirier dans le XVe arrondissement. La famille sort indemne des deux appartements des 4e et 5e étages (celui des filles et de la nounou). Marie-Caroline a 16 ans, Yann 12 et Marine 8. « C’est là, à l’âge des poupées, que je prends conscience de cette chose terrible et incompréhensible pour moi : mon père n’est pas traité à l’égal des autres, nous ne sommes pas traités à l’égal des autres », écrit la cadette dans son autobiographie, À Contre-Flots (2006).

En 1974, Marine Le Pen sur les genoux de son père Jean-Marie Le Pen, sa mère Pierrette Le Pen et ses soeurs Marie-Caroline Le Pen (à gauche) et Yann Le Pen (à droite).

Alors, Marine (nom de baptême refusé par l’état-civil qui enregistre Marion) combat et fait la fête comme son père. Du temps où il parlait poliment à La Voix du Nord, Steeve Briois, le maire d’Hénin-Beaumont et président par intérim du FN, lâche avec envie : « Il ne faut pas croire, les Le Pen, c’est la vie de bohème. » La villa de Montretout à Saint-Cloud, décrochée après un héritage contesté, est le théâtre des fêtes et des drames des filles Le Pen, où le patriarche vogue derrière sa longue-vue.

Marine Le Pen avec ses soeurs en 1987.

Surtout après le départ de leur mère, Pierrette, en 1984. Elles font bloc autour de Le Pen mais Marie-Caroline finit par s’enfuir en 1998 avec son mari Philippe Olivier (parti au MNR, revenu depuis) ; la fragile Yann subit et chancèle ; Marine s’engage.

Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen lors de la convention du Front National à Lille le 25 février 2007. Photo Christophe Lefebvre – La Voix du Nord

Après son diplôme d’avocate, elle dirige le service juridique du Front national. Son père la choisit pour nettoyer le parti des félons mégretistes et les empêcher d’utiliser le label FN déposé en 1972. L’affaire de famille, « le système Le Pen » prend corps. Une attitude la distingue du « menhir ». Elle protège ses trois enfants (Jehanne et les jumeaux Mathilde et Louis), nés de son premier mariage avec Franck Chauffroy, de la lumière violente de la vie politique. Car elle l’appelle irrésistiblement, au nord.

Une «love story» avec le Nord-Pas-de-Calais

«Le physique flamand et la gouaille de Marine s’accordent bien au lieu.» Ainsi aurait parlé Éric Lorio, à l’époque haut responsable du FN et son époux durant plus de quatre ans, à propos de la candidature de Marine Le Pen aux législatives dans la 13e circonscription du Pas-de-Calais. En 2002, celle qui est devenue vice-présidente du FN n’en est pas à ses premières amours avec la région. Déjà en 1992, Carl Lang lui propose la deuxième place sur la liste pour les régionales en Nord-Pas-de-Calais. Marine Le Pen décline pour mieux revenir se faire élire au conseil régional Nord- Pas-de-Calais en 1998. Voilà pour le premier contact.

En 2002, l’idylle se précise lors des législatives. Marine Le Pen quitte la propriété de Saint-Cloud pour les corons.

Marine Le Pen, candidate FN dans la 13e circonscription du Pas-de-Calais et son compagnon Eric Lorio (FN), distribuent des tracts, le 6 juin 2002 sur le marché de Harnes, à quelques jours du premier tour des élections législatives. Photo AFP

Une conférence de presse se tient au Lensotel à Vendin-le-Vieil. L’opération séduction démarre. Éric Lorio va jusqu’à nouer l’écharpe d’un journaliste autour de son cou pour ne pas qu’il prenne froid. Marine Le Pen et les siens écument les marchés, notamment celui de Harnes où Yvan Druon, maire communiste de l’époque, goûte fort peu la plaisanterie. Ce dernier brandit, face à Marine Le Pen, des silhouettes en bois de partisans fusillés durant la Seconde Guerre mondiale. Rien n’y fait. La greffe FN commence à prendre. Marine Le Pen se qualifie pour le second tour avec 24,2% des suffrages. Le rendez-vous avec le bassin minier est pris. Avec la région aussi. Éric Dillies, chef de file des frontistes lillois, se souvient: «En 2003, je travaillais au conseil régional. On a senti que Carl Lang n’avait plus la main, Marine prenait le pouvoir.»

Steeve Briois et Marine Le Pen au conseil municipal d'Hénin-Beaumont en mars 2009. Photo Emilie Denis

En 2007, Steeve Briois et les militants d’Hénin-Beaumont font des appels du pied à la fille du chef. Après Metaleurop, les usines ferment les unes après les autres. Gérard Dalongeville, le maire, sent le soufre. Du pain bénit pour le « tous pourris ». Qualifiée pour le second tour des législatives, elle obtient 41,65 % des voix avant de devenir conseillère municipale. Coup de théâtre en 2009: Dalongeville est révoqué pour détournement de fonds publics, corruption... La liste de Briois échoue de peu avec 47,62 % des voix. Pour éviter le cumul des mandats, elle démissionne du conseil municipal en 2011.

L’année suivante, rebelote pour les législatives. Tiens, tiens, Jean-Luc Mélenchon vient à Hénin-Beaumont pour affronter Marine Le Pen. Il est éliminé avec 21,48% mais elle échoue face à Philippe Kemel. Il lui manque 118 voix. Rien ou presque.

La dédiabolique

« Mon père a connu la guerre, c’est une autre génération. Moi, ma grille de lecture, c’est la mondialisation. Je défends un Etat fort avec ma petite musique perso », dit-elle à notre journal en 2010.

Il est l’heure de passer un cap, de tuer le père à mains nues. « Après le parti des éveilleurs vient celui des bâtisseurs », lance-t-elle au congrès de Tours le 16 janvier 2011 où elle est élue présidente du Front avec 67,65 % des voix (contre 32,35 % à l’ancien Bruno Gollnisch). Avec la poigne du chef naturel et entourée d’une bande de p’tits nouveaux, dont les Nordistes Florian Philippot et Steeve Briois (« sa cour», raille le patriarche vexé), elle lance la dédiabolisation du parti. Elle gauchise le discours social-national. « Marine, à l’inverse de son père, veut exercer le pouvoir. Elle se détache du discours d’extrême-droite, xénophobe. On ne parle plus de race mais de culture. C’est le différentialisme », observe Sylvain Crépon, de l’université Paris-Nanterre.

Steeve Briois, Florian Philippot, Marine Le Pen, et Gilbert Collard lors du rassemblement du Front National pour la fête de Jeanne d'Arc le 1er mai 2012 à Paris. Photo Christophe Lefebvre – La Voix du Nord

Si elle maîtrise moins les chiffres, elle progresse sans commettre une erreur de com’. Contrairement à l’entourage. Dernier en date, Jean-François Jalkh renonce à la présidence par intérim du FN 2017, rattrapé par des propos négationnistes datant de 2000.

Évidemment, Jean-Marie Le Pen ne se laisse pas enterrer vivant. Le provocateur finit par pousser sa fille à l’écarter du parti qu’il a fondé. Le bureau exécutif du FN le suspend le 4 mai 2015 pour sanctionner ses errements, ses « détails » sur la Shoah, les Juifs, la «fournée» qu’il veut faire avec des artistes dont Patrick Bruel. Son père l’embarrasse ; elle respire. Le face-à-face au siège du parti à Nanterre aurait été violent, définitif.

Marine Le Pen, candidate à l'élection présidentielle 2017, lors de son meeting de Lille le 26 mars 2017. Photo Baziz Chibane – La Voix du Nord

La voici donc au second tour de l’élection présidentielle, comme son père en 2002. Mais avec près de deux millions de voix de plus (7 678 491 contre 4 804 713) et une ambition au second tour sans commune mesure avec le 82,21 % - 17,79 % qui avait sanctionné Jean-Marie Le Pen contre Jacques Chirac. Entre l’appel aux Insoumis et le ralliement de Dupont-Aignan, elle avance « pas à pas avec des bottes de sept lieues ».

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