Réalisée du 03 au 10 août 2021
82. C'est le nombre de sommets alpins dépassant les 4000m d'altitude. Ils sont situés dans trois des huit pays où s'érigent les Alpes, à savoir la Suisse, l'Italie et la France. Cependant, leur répartition sur le territoire montagneux de ces Etats n'est pas équitable. On les retrouve majoritairement dans trois chaînes de montagnes situées sur les frontières séparant le trio étatique : le Massif du Mont-Blanc, le Massif des Alpes Pennines et le Massif des Alpes Bernoises. D'autres massifs revendiquent la présence de sommets dépassant les 4000m tels que le Massif des Ecrins en France ou le Massif du Grand Paradis en Italie mais au sein de ces derniers, on n'observe pas une densité aussi forte de sommets de cette envergure comme ça peut être le cas près du Mont Blanc.
La définition même de 4000 peut varier en fonction des critères retenus. Si officiellement, l'Union internationale des associations d'alpinisme reconnait 82 sommets depuis 1994, certaines listes indépendantes peuvent grimper jusqu'à 200 sommets. Ces listes prenant en compte par exemple les sommets dits secondaires tels que les antécimes. Pour le commun des mortels, leur nombre importe peu et l'on restera sur le chiffre officiel de 82. Mais pour les ''collectionneurs de 4000'' cela revêt un caractère très important et ce depuis les premières grandes ascensions de la Conquête des Alpes. Cette période se situe dans la seconde partie du XIXème siècle lorsque les principaux sommets alpins sont gravis pour la première fois. Cette expression provient de l'alpiniste et historien William Coolidge qui délimite cette période entre l'ascension du Wetterhorn le 17 septembre 1854 et celle du Cervin le 14 juillet 1865. Des alpinistes venus des quatre coins de la planète se pressent vers les sommets majeurs de la chaîne de montagnes : anglais, français, états-uniens, italiens, tous tentent de décrocher le fameux sésame : la première ascension d'un mont autrefois inaccessible. Des noms d'alpinistes sont ainsi restés dans la mémoire collective comme Edward Whymper pour l'ascension du Cervin 4478m, de l'Aiguille Verte 4122m ou de la Barre des Ecrins 4102m.
Aucune ambition de gravir un 4000 lors de notre Via Alpina mais nous en côtoierons un certain nombre notamment lors de la traversée reliant Courmayeur et Zermatt. Et l'on commence au pied du plus élevé de tous : le Mont Blanc.
Depuis l'annexion de la Savoie à la France en 1860, le Mont Blanc est l'objet de tensions entre la France et l'Italie, et même encore aujourd'hui. En cause la frontière entre les deux Etats sur ce sommet mythique. Deux argumentaires s'affrontent depuis près de deux siècles. Pour la France, le sommet est entièrement français, la frontière suivant la ligne de rupture à l'Est du sommet du Mont Blanc, celle-ci se retrouvant ainsi sur le Mont Blanc de Courmayeur 4765m. La thèse française s'appuie sur le Traité de Paris de 1796 signé entre la France et le Royaume de Sardaigne, dont le Duché de Savoie faisait partie, qui confirme cette frontière. Pour l'Italie, ce document juridique a été abrogé à la chute de l'Empire en 1815, c'est donc le Traité d'Utrecht de 1713 qui fait loi et qui dispose que la frontière doit suivre le principe de ligne de partage des eaux. Ce principe affirme quelque chose de relativement clair : le sens de l'écoulement de l'eau définit la frontière entre les deux entités. Le Mont Blanc étant le point le plus haut de l'arête, l'eau ne peut que soit s'écouler sur le versant Ouest soit s'écouler sur le versant Est, la frontière franco-italienne serait donc positionnée sur son sommet. La Suisse suivait la thèse française jusqu'en 2013. Depuis, elle mentionne le ''statut de territoire contesté'' sur ses cartes topographiques. Quoiqu'il en est, la nationalité, ou la binationalité du point culminant de l'arc alpin est un dossier fumant dans les relations franco-italiennes.
C'est par un sentier en balcons face au Massif du Mont Blanc que l'on s'échappe peu à peu du Val d'Aoste. On surplombe ainsi le Val Ferret italien. De nombreux glaciers dégringolent des parois du massifs pour le plus grand plaisir des randonneurs. Cependant, avec le réchauffement climatique, ces glaciers sont de plus en plus instables et menacent les habitations du fond de vallée à l'instar du Glacier de Planpincieux. Ce dernier est situé à 2700m, mais glisse de plus en plus vite vers la vallée. Lorsqu'il fait chaud, son avancée peut atteindre un mètre et demi par jour. Cela déstabilise le glacier et favorise la chute de séracs. Il est donc en observation depuis plusieurs mois. Ce phénomène n'épargne pas les hautes altitudes puisque juste au-dessus de ce glacier, un autre glacier situé à 4000m d'altitude appelé le Sérac Whymper peut glisser de 2 à 20cm par jour.
Sur les photos précédentes on voit bien les traces laissées par le recul des glaciers du Massif du Mont Blanc. Il faut savoir que le réchauffement climatique est deux fois plus rapide dans les Alpes que sur le reste du continent européen. Ainsi, depuis le milieu du XIXème siècle, les températures dans les Alpes ont augmenté d'environ 2°C.
Juste après ce refuge, on grimpe le Grand Col Ferret qui marque la frontière entre la Suisse et l'Italie. Le Canton du Valais s'ouvre à nous sous un ciel nuageux. Le temps ne devrait d'ailleurs pas s'arranger le lendemain. En descendant le Val Ferret suisse, nous allons peu à peu quitter le Tour du Mont Blanc pour rejoindre un autre itinéraire mythique de la région : la Haute Route de Chamonix-Zermatt. Que ce soit le Tour du Mont Blanc ou le Chamonix-Zermatt, nous sommes totalement en dehors des itinéraires de Via Alpina officiels. D'ailleurs, la Haute Route sera également modifiée pour inclure un passage en Italie avant d'atteindre Zermatt.
Comme prévu, la pluie gâche cette entrée en Suisse. Nous devons modifier l'itinéraire de base. Nous abandonnons la montée au Col du Bastillon qui devait nous faire rejoindre la Vallée du Col du Grand Saint-Bernard. Trop élevé au vu du temps, nous optons pour le fond de vallée en direction de La Fouly avant de tenter un traversée de la chaîne de montagne une fois le calme revenu.
Après quelques heures en balcons, nous atteignons la zone où se trouvait il y a quelques années le bas du Glacier de la Corbassière. Aujourd'hui un vaste canyon est présent. Une passerelle a été construite pour faciliter l'accès à la Cabane de la Panossière. Ce pont suspendu de 190m de long et 70m de haut a été inauguré en 2014. Le glacier était alors situé en contrebas de la passerelle, aujourd'hui, il est bien remonté.
On continue notre ascension vers le Col des Otanes tout en gardant cette vue splendide sur les Grands Combins. Mais nous ne sommes pas les seuls à contempler la vue.
Quelques photos aériennes du Glacier de la Corbassière :
La journée ne fait que commencer et nous en avons déjà pris plein la vue. On franchit le Col des Otanes pour chuter sur le hameau et le barrage de Mauvoisin avant une traversée ascendante vers les Alpages de Louvie.
La journée suivante s'annonce beaucoup plus dure physiquement. Nous n'avons plus beaucoup à manger et la prochaine station se situe à un peu moins de 30km de notre bivouac. Quatre cols seront à franchir, mais le réel problème de cette journée ce sont les orages qui sont attendus dans l'après midi. Suspense !
Les cols que nous franchissons sont assez élevés puisque situés entre 2800 et 2900m d'altitude. Nous passons successivement le Col de Louvie, le Col de Prafleuri puis le Col des Roux. Depuis ce dernier, on surplombe le Lac des Dix, résultat du Barrage de Grande-Dixence, le plus haut et le plus massif d'Europe. Le Lac des Dix mesure ainsi 5km de long. Cependant, les nuages arrivent en masse et il nous reste un dernier col à franchir, et pas des moindres.
Dès les premiers mètres en direction du Pas de Chèvre, l'orage éclate au dessus du Lac des Dix. La pluie et le vent nous fouettent le visage et en moins de dix minutes nous sommes trempés de la tête aux pieds malgré nos affaires de pluie. Les éclairs scintillent dans le ciel, l'ambiance est chaotique alors même que par beau temps, l'endroit doit être d'une beauté sans pareille : alpages, glaciers et sommets enneigés. Nous ne bénéficierons que de brèves visions de ce paysage de haute montagne. Nous sommes plutôt concentrés à passer le col le plus vite possible. Mais plus nous montons, plus l'accès à ce col est douteux au vu du temps et de son accessibilité.
Plus l'on s'approche du col, plus l'on se rend compte que c'est une véritable muraille de roches qu'il faut franchir. Heureusement, nous apercevons quelques échelles métalliques permettant probablement l'accès au Pas de Chèvre. Or, avec les éclairs qui ne frappent jamais bien loin, cette ascension n'est pas très rassurante. De plus, des éboulis sont présents en aval du col. Bref, nous ne savons pas si nous allons pouvoir atteindre Arolla aujourd'hui. Après une pause sous un rocher - grave erreur lors d'intempéries en montagne puisque l'on se refroidit extrêmement vite - nous reprenons tout de même la route du col. Une fois au pied des échelles, nous sommes rassurés par l'apparition presque prophétique d'un randonneur franchissant le col en sens inverse : ça passe ! Le vent et la pluie se calment légèrement. Nous montons tant bien que mal les quelques dizaines de mètres sur les échelles du Pas de Chèvre. Malgré nos mains atrophiées par le froid et la pluie, nous nous hissons sur les échelles et passons ce sol. Cependant, ce n'est pas terminé puisqu'il faut encore dévaler 900m de dénivelés négatifs pour atteindre la petite station valaisanne.
Il a continué à pleuvoir tout le long de la descente et toute la soirée. Nous décidons de casser la tirelire et d'opter pour une nuit dans un hôtel d'Arolla. Une nuit au chaud bien nécessaire pour retrouver l'usage de nos mains et faire sécher la quasi totalité de nos affaires. Après cette fin de journée compliquée, le temps devrait grandement s'améliorer et ce pour plusieurs jours. Il y en a bien besoin puisque nous devons passer un col à plus de 3000m le lendemain.
Au départ d'Arolla, nous découvrons enfin les montagnes qui nous entourent. L'objectif du jour est de passer en Italie par la traversée d'un glacier et d'un col à haute altitude. Le soleil est avec nous, permettant de terminer le séchage de nos affaires mouillées la veille. L'itinéraire diffère du Chamonix-Zermatt, nous nous situons maintenant sur le Tour du Cervin.
Le Col Collon 3114m nous fait basculer côté italien, de nouveau dans le Val d'Aoste. De l'autre côté, il n'y a plus de glaciers, seulement une magnifique trace de leur présence passée.
Dans un premier temps, nous décidons de monter notre bivouac sur les bords du Lago di Place Moulin. L'eau y est abondante pour la douche et les repas. La règle des 2500m pour bivouaquer n'est toujours pas respectée mais qu'importe. Ce n'est pas le garde forestier italien qui va nous déloger de notre emplacement mais bien les vaches de l'alpage. Une fois douchés et posés dans notre tente, nous entendons des bruits de craquements de branches autour de nous et ce, de plus en plus fort. C'était un troupeau de vaches qui venait se désaltérer sur les bords du lac. Nous faisons en sorte qu'elles contournent bien la tente sans l'abîmer puis nous retournons nous emmitoufler dans nos duvets. Sauf que là encore, la curiosité de l'animal prendra le dessus. C'est un véritable blocus bovin qui s'effectue autour de la tente et malgré nos tentatives de les faire fuir et de protéger l'emplacement du bivouac avec des branches mortes, il a fallu nous résoudre à quitter les lieux pour avoir une nuit tranquille et ne pas risquer d'abimer la tente. Nous montons donc 200m plus haut où nous pouvons enfin finir notre repas paisiblement : Vaches 1 - Humains 0.
Au réveil, c'est les premières gelées qui font leur apparition. Nous sommes le 09 août. Mais il fait très beau et nous nous lançons de nouveau dans l'ascension d'un col à plus de 3000m : Colle de Valcournera 3075m.
En descendant du col italien, nous nous dirigeons vers la station de Breuil-Cervinia. C'est en passant une crête que nous allons avoir enfin la vue sur la pyramide la plus célèbre des Alpes : le Cervin.
Après tout, la station reste dans le thème. Le Cervin se prénomme ''Matterhorn'' en allemand, ce qui signifie littéralement ''dent des prés''.
Après un gros ravitaillement à la station afin de profiter une dernière fois des prix italiens, nous montons légèrement sur le domaine skiable de Breuil-Cervinia pour y poser notre tente. La cime du Cervin nous surveillant au loin.
La journée suivante sera un peu spéciale puisque nous nous dirigerons vers le point culminant de notre traversée des Alpes : le Rifugio Teodulo perché à 3317m. Après cette arrivée en Suisse, il faudra attendre l'Autriche pour retrouver la barre symbolique des 3000m d'altitude.
Les premières centaines de mètres s'effectuent sur le domaine skiable de Breuil-Cervinia, en passant près du Lago Diga del Goilet où d'étranges tâches mouvantes sur son barrage attirent notre attention.
Le test du Bombardino, boisson lombarde à base de liqueur d'oeuf, fut peu convainquant au Rifugio Teodulo, c'est pourquoi nous nous mettons rapidement à la descente vers la Suisse, vers Zermatt. La première partie s'effectue sur le Theodulgletscher où une piste de ski a été damée. C'est donc avec les skieurs que nous partageons ce moment.
Une fois sur la terre ferme, on effectue une traversée sous la cime élancée du Cervin : le Matterhorn Glacier Trail. De nombreux lacs glaciaires jalonnent le sentier mais les remontées mécaniques ainsi que la foule ne sont jamais bien loin.
Après la contemplation des géants du coin, on plonge vers la station huppée de Zermatt qui se trouve au fond de la vallée, vers 1600m d'altitude. Nous trouverons un coin tranquille pour bivouaquer juste au-dessus des premières habitations de la ville.
Notre troisième étape prend fin face à la montagne Toblerone. Après avoir aperçu et contemplé les plus hautes montagnes de l'arc alpin. Le temps nous a fait des siennes au départ puis le beau temps nous a fait découvrir les Alpes Pennines et notamment leurs immenses glaciers. Cependant, nous n'en avons pas fini avec ces derniers, l'étape 4 nous conduisant vers le plus grand d'entre-eux.
Cette étape a également été l'occasion de constater les mutations plus ou moins lentes qui s'opèrent dans les Alpes : fonte des glaciers, éboulements, extension des domaines skiables et tourisme de masse. Autant de défis dont nous ne savons pas réellement qui de l'Homme ou de la montagne sortira véritablement perdant. Et ce n'est malheureusement pas en débutant cette traversée de la Suisse que nous allons voir une quelconque amélioration. Pays qui essayera d'acheter notre clémence avec des distributeurs de fromage installés au milieu de nulle part.
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