Je partage ici mes premières impressions de la vie au delà du cercle polaire. Dans cette série de photos, je raconte comment l'Arctique m'a rapellée à l'existence, une couleur après l'autre. Roxane Terramorsi.
Reportage photo et impressions collectées au Groenland entre le 14 février et le 14 mars 2019, dans le cadre de la résidence d'artistes « Artistes en Arctique » effectuée sur Le Manguier ». ©Roxane Terramorsi. www.lemanguier.net
UN MONDE EN NOIR ET BLANC
Ma première impression en arrivant au Groenland, dans un pays qui s’appelle pourtant «Terre verte», fut d’entrer dans un monde en noir et blanc. Toutes les couleurs avaient-elles disparues? Comme absorbées quelque part sous la neige, sous les nuages ? Et s'il y a une couleur qu’on ne retrouve pas, c’est bien le vert : en hiver, pas la moindre trace de végétation, pas le moindre arbrisseau déshabillé dont le bois percerait à travers la neige. Encore moins d’arbres. Quand on s’imagine en Arctique, bien avant le départ, on accueille déjà en soi la neige, la glace. On rêve en blanc. Mais on oublie le noir. Celui qui contraste tout. Là-bas, on retrouve l’essence de nos émotions, de nos souvenirs... avec leur blanc et leur noir.
SANG DE GLACE
Un monde en noir et blanc ? Paysage en négatif ? Pourtant la couleur est bien là ! Au cœur de la glace, piégée! Et aux premiers rayons, le soleil dans sa « chambre blanche » développe la pellicule et l’Arctique livre ses trésors. Il ne fallait pas craindre trop longtemps la rudesse du paysage. Le bleu glacé, presque turquoise, fait son apparition à la Frontière. La Frontière? C’est comme ça que je l’appelle. Cette zone fascinante mue de mouvements solides. C’est le point de contact de la mer et de la terre, celui où l’été on pourrait observer le va-et-vient de l’eau et les pieds nus des enfants jouer à chat avec les vagues. Mais ici, tout est figé ? Non, tout bouge, perpétuellement, avec la lune, avec la marrée, mais plus imperceptiblement… À la frontière, la banquise aussi se brise contre les rochers avec la neige pour écume. Et on y voit parfois de grandes flaques se former, ce saignement de la banquise, "Aakkarneq", disent les Groenlandais. Puis le sang turquoise de la glace, sous l' effet du froid, gèle à nouveau. Peau neuve de la banquise, lisse comme celle d’un bébé, réfléchissante comme un miroir, elle brille de ce bleu qui évoque au marcheur endolori la chaleur des tropiques. Mirage trompeur pour le voyageur égaré dans un désert glacé.
LA VIE EN ROSE
Certains jours bien particuliers, le ciel nous baigne d’une lumière singulière. Ce n’est pas le rouge flamboyant des soleils couchants. Ce n’est pas non plus le jaune orangé des rayons qui se posent en dorures sur les nuages. Ce n’est pas encore le violet bleuté, qui, entre chien et loup, signe la fin de la journée. Comme ailleurs, toutes ces couleurs du soir existent en Arctique. Mais il en est une qui semble n’appartenir qu’au monde polaire : le rose crépusculaire. C’est un rose, qui se pose sur la neige et lui donne des allures de couette douillette. Un rose qui aromatise, pour le bain des eiders, l’eau de mer à la grenadine. Un rose qui dessine des cœurs avec les nuages. Un rose qui englobe tout le ciel et tout le paysage et qui nous promène dans un univers parallèle, surnaturel. Signature de son caractère exotique, ce rose est unique. Jamais on a vécu dans une telle douceur, dans une pareille couleur … qui nous enrobe jusqu’à déposer sur notre peau son filtre d’amour.
J'HABITE UNE COULEUR
Des couleurs venues de chez les hommes, pour les hommes ! À croire que pour survivre à la nuit polaire, les Inuits ont bien besoin d’égayer leur quotidien d’un peu de lumière. Où sommes-nous ? Qui vit là ? Qu’est-ce vivre ici ? À chaque maison sa couleur, comme une signature, un nom de famille. Bien qu’il y ait des noms de rues et des numéros aux maisons, la couleur vaut adresse. La maison rose fushia : l’école. La maison jaune : celle du musher. La maison violette : celle du grand chasseur. La maison verte : celle du vieux couple. La Maison blanche : les douches publiques. La maison rouge, au sommet du village : celle du doyen. La maison rose saumon : celle de l’inuk que je n'ai jamais rencontré. La maison pervenche : la nôtre. Et les maisons orange, turquoise, bleue, rouge, olive, grise ...? Celles qui ont été abandonnées.
ARC-EN-CIEL
Arctique, pays de nos cœurs inversés, où il peut faire jour la nuit et nuit le jour, où la couleur peut être arrachée au soleil et désoler le paysage dans un chaos de noir et blanc, pour être retrouvée au soir, dansante dans le ciel. La nuit a avalé la couleur. Et c’est bien en arc dans le ciel, après avoir tout absorbé, que le noir sidéral nous éclabousse de lumière pure en provenance du soleil, dans un entrechoquement de particules virevoltantes. En voyant ces grandes griffures verticales, j’ai cru pour la première fois mesurer la profondeur du ciel et projeter mon insignifiance dans l’espace. Au ras du sol aussi nous sommes insignifiants. À ce moment là, sous mes pieds, la planète Terre, et un drôle de pays aux allures lunaires, où rien n’est comme ailleurs, mais où toute forme d’ailleurs est ici.
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Credits:
Roxane Terramosi