View Static Version
Loading

"J'veux du cuir"

Clara et le cuir, c’est d’abord une histoire de passion. À seulement 21 ans, Clara a déjà travaillé pour de grandes maisons de luxe françaises de maroquinerie : Louis Vuitton, Hermès. Elle connaît tous les types de cuir, dessine des patrons, affine ses peaux, assemble les différentes pièces à la main ou les relie à la machine à coudre. Personnalité hors-norme, piercing à l’oreille, tatouages, esprit créatif et manuel, Clara retrace son histoire et son parcours en nous ouvrant les portes de ses créations et de son atelier situé au Mans, chez les Compagnons du Devoir.

« Mon histoire, c’est comme un coup de foudre entre le monde de la mode et la matière vivante. Ma cousine m’a donné le goût de la création, car elle travaille en Italie dans des boutiques où le cuir est la principale matière. C’était comme une évidence, je voulais vraiment un métier manuel et créatif avec le cuir » Clara

Une histoire d'amour

Évidence, déclic, coup de foudre, passion et art, il y a dans l’histoire de Clara et du cuir une intention charnelle. Lorsque le regard de Clara se pose sur les différentes peaux, le coup de foudre est immédiat. Surprise par la beauté de cette matière qui fait rouler ses yeux, elle s'en rapproche irrésistiblement et la touche. D’une peau lisse à une peau grainée, le choix sera difficile. Elle les examine les unes après les autres, les caresse, les admire et finalement choisit les peaux dont elle est tombée amoureuse. La peau d'agneau, plus lisse, et la peau de vachette, plus épaisse. Elle s’empresse de retrouver son tabouret de fortune, dans son atelier, pour pouvoir les façonner et les rendre encore plus somptueuses.

A peine installée, elle débarrasse son établi et s'assied. Crayon en main, les idées de gabarit jaillissent dans sa tête. En deux coups de crayon, les patrons sont prêts à être reproduits sur le cuir sélectionné. Un trait de travers, une mauvaise cotation peuvent faire de son produit fini un véritable désastre. Elle s’empare du cuir de vachette beaucoup plus épais et dur à travailler pour former la base de son sac. C’est à ce moment précis que les liens s'intensifient entre Clara et la matière. Avec attention et patience, elle découpe et gratte sa peau de cuir, de façon à l’amadouer, à la fusionner pour qu’elle fasse la connaissance avec le cuir d’agneau. L'association des deux matières est immédiate.

« Je gratte mon cuir avec du papier ponce pour que la colle adhère, car si on l’applique directement sur le cuir non gratté ça ne collera jamais.On se rend compte à ce moment précis qu’il peut s'adapter à n’importe quelle peau qu’elle soit lisse épaisse ou grainée encore exotique », précise Clara. C'est une rencontre particulière qui relie d’un côté, la grâce et la noblesse d’une matière et de l’autre, une femme, passionnée par la création, la confection. C'est son amour pour le cuir qui conduit Clara sur les chemins des Compagnons du Devoir.

Chez les Compagnons du Devoir

Dans les sous-sols du vieux Mans, chez les Compagnons du Devoir, se niche un certain nombre d’élèves. Cette école singulière forme ses apprentis à devenir des artistes manuels. Pour y accéder, les candidats doivent passer des tests de français et de culture générale. Il faudra ensuite trouver l’entreprise qui va les démarquer des autres pour effectuer leur alternance. Clara nous emmène dans sa “grotte”, plaisante-t-elle. On se faufile dans un escalier sombre qui descend dans les allées des classes des artisans où elle apprend comment manier le cuir et le rendre digne des plus grandes maisons. Dans une pièce au loin, un halo de lumière. C’est ici que nous rencontrons Normande.

« Aux Compagnons du Devoir, nous ne nous appelons pas par nos prénoms, mais par nos noms de région », expliquent-elles. Pour Clara se sera Ile-de-France.
20 mètres carrés consacrés à la salle de classe, séparée en deux établis, avec d'un côté Ile de France, de l'autre Normande.

Le soir, de 20h à 22h, assise sur son tabouret en bois de fortune qui fait face à son établi conçu par les artisans ébénistes de l’école, Clara découpe son cuir, l’assemble, le coud avec du fil de lin et le décore en suivant son prototype. À côté d’elle, une mallette noire, imposante, rassemble tous ces outils. « On dirait presque des outils de torture », précise-t-elle. À l'intérieur, couteau à parer, alène, compas à pointe sèche, marouflette, marteau, maillet, papier ponce et cutter, autant d’outils utilisés pour travailler la matière.

Dans ce métier, chaque étape revêt son importance. « Ici on ne compte pas nos heures de travail, on travaille même le week-end », souligne Clara. Chez les Compagnons, difficile de concilier vie personnelle et vie professionnelle. « Nous avons chaque mois un week-end de libre pour rentrer voir nos familles, mais, ici, je ne me sens jamais seule, car nous sommes tout le temps avec nos Compagnons, on mange ensemble, on dort ensemble, on fait tout ensemble », confie Clara.

« Les Compagnons ce n’est pas une école c’est une deuxième famille » Clara

Dans les Ateliers

Clara a eu la chance d'être formée dans les ateliers Vuitton. Elle a acquis un savoir-faire que l'apprentissage viendra affiner au fil du temps. Aujourd'hui, Clara alterne entre les Compagnons et l'atelier de maroquinerie Hermès à Connerré (Le Mans).

Les grandes maisons de luxe françaises comme Chanel, Hermès, Louis Vuitton et d’autres, on fait du secteur de la maroquinerie un artisanat reconnu. En 2016, les exportations de la filière cuir ont bondi de 6,9% au premier trimestre (Conseil National du Cuir). Les sacs à main représentent à eux seuls près des deux tiers de la production (1,9 milliard d’euros). Les ateliers français ont fabriqué près de 10 millions de sacs à main en 2018, soit environ 18 % de la production européenne. La France se situe au deuxième rang des fabricants européens, loin derrière l’Italie qui assure à elle seule 61 % de cette production. Le cuir italien tire également sa valeur de ses artisans. L’artisanat du cuir italien s’est répandu grâce à sa maîtrise, sa qualité de tannage, sa souplesse et à ses finitions exemplaires qui offre une valeur inestimable aux techniques employées.

Dans les coulisses de ces ateliers, où le savoir-faire ancestral perdure, Cécile*, Coline*, Stéphanie* et Clara toutes sont maroquinières et amoureuses du cuir. « Le cuir c’est une matière noble, belle à regarder, agréable au toucher, magnifique au porté, c’est la matière avec laquelle je préfère travailler », livre Coline*, maroquinière depuis 10 ans.

*Afin de préserver l’intimité des artisans maroquinière, nous avons utilisé des noms d’emprunt.

Au sein des ateliers, les peaux arrivent entières et sont déjà traitées en amont dans leurs pays d’origine. « La plupart de nos cuirs proviennent d’Italie », précise Clara. En effet, le cuir italien a gagné sa réputation depuis le XVe siècle. C’est au cœur de la Toscane que les usines artisanales créent à la main des pièces en cuir de haute qualité, faites pour durer des années. Avant d’être travaillé, le cuir est tanné de plusieurs façons : le tannage au chrome appelé aussi tannage minéral et le tannage végétal (le tannage végétal est une pratique ancrée dans la culture italienne depuis des siècles).

« Les différents tannages permettent de choisir les différents cuirs avec lesquels on veut travailler, certains vont être plus souples et d’autres plus rigides. Chez Vuitton, on utilise de la VVN (Vache Végétale Naturelle) qui va être claire au début mais qui deviendra plus foncée avec le temps, c’est du tannage végétal ». Cécile*

Ce processus est le fait de transformer le cuir brut en cuir fini, prêt à être façonné. Ces transformations prennent en compte de nombreuses opérations manuelles, chimiques et mécaniques de sorte que la finition du cuir corresponde aux attentes des maisons de luxe. « Une fois que la peau est passée dans les bains, le cuir devient blanc. Après, il va être teinté dans la couleur que l’on souhaite. On va venir embosser [NDLR : technique qui permet de créer du relief sur des matériaux déformables comme le cuir] le cuir pour lui donner du grain comme le grain sur notre peau. Enfin les peaux sont vendues dans cet état, il y a un catalogue gigantesque de couleurs de cuir et d’embossage. Par exemple, avec une peau de vachette on peut faire croire à un cuir de python avec des écailles car elle a été embossée et coloré », rapporte Coline.

« La Vache Végétale Naturelle est merveilleuse à travailler même si elle est très rigide » Clara

Disposée sur de grands chevalets, la matière vivante reprend sa forme, prête à être aménagée, façonnée, travaillée pour fabriquer un sac. Dans les ateliers, le cuir passe tout d’abord dans une “machine numérique” qui permet d’identifier ses défauts avant d’être découpé en morceaux. Ensuite, il passe par le secteur “préparation”. « C’est un secteur très intéressant puisqu’on utilise des machines : refendeuse, thermocolleuse, pareuse, surcoupe, encolleuse, marqueuse... », énumère Cécile*. Le sac est ici préparé pour être cousu, collé pour qu’il prenne sa forme finale. Enfin, il passe par la ligne de montage, qui elle, est divisée en deux parties : la coloration avec les piqûres d’assemblage et la pose d’accessoires, de bijoux fantaisie...

C’est à ce moment-là que le produit fini est prêt à passer au “contrôle final”, explique Coline*. « Le but est d’envoyer un sac parfait aux attentes de la nomenclature Vuitton, les loupés peuvent très vite arriver car le cuir est vivant et ne réagit jamais de la même manière. Après le contrôle final, le sac est envoyé dans la partie magasin qui va venir faire l'emballage du sac et activé sa puce. Tous les sacs sont pucés pour avoir un suivi, pour connaître où et quand ils ont été fabriqués. Finalement, les sacs ne sont pas envoyés directement en magasin, ils sont envoyés sur la plateforme Sergi, en France à côté de Paris. C’est un énorme entrepôt où tous les sacs Vuitton sont déposés pour qu’enfin ils soient distribués dans chaque magasin du monde ».

Aucun sac n’est conçu de A à Z par un artisan : « Dans un sac, il y a plusieurs opérations, vingt, quarante, cinquante, ou plus. Tout dépend du modèle et de sa complexité. Chaque sac passe par les trois pôles de fabrication et donc par plusieurs mains car, ce que veulent les entreprises, c’est la polyvalence de l’équipe », précise Coline*, maroquinière dans les ateliers de Louis Vuitton près d'Angers. Ce travail minutieux requiert des heures de patience, de rigueur et de précision. Est-ce pour cela que l'on retrouve une grande majorité de femmes sur ces postes ? « Il y a 90% de femmes dans les ateliers de production contre 10% d’hommes qu’on retrouve dans les bureaux, aux fonctions d’ingénieurs, de magasiniers, de mécanicien », constate Stéphanie*. « C’est tout un art, par exemple, pour la fabrication d’un modèle de sac simple, il faut compter environ 2h30/3h de travail. Parfois je perds patience et je m’énerve dans ma tête, mais je ne vais jamais extérioriser sur la matière », enchaine Clara. Un travail exigeant, qui explique selon Stéphanie* que tous ces accessoires de luxe sont vendus à des prix élevés. « Les sacs ne sont pas chers pour leurs matières premières, mais plutôt pour le nom de la maison et aussi pour toute la main d'œuvre engagée. Par exemple, un portefeuille qui coûte 60 euros à la fabrication va être revendu 600 euros sur le marché. Nos salaires justifient aussi le prix des produits, on reste des ouvrières en maroquinerie mais on est relativement bien payées », complètent-elles.

Une romance Italienne

Envoûtée, fascinée, séduite et captivée par la diversité des peaux, Clara imagine poursuivre son histoire d'amour en ouvrant son atelier de maroquinerie en Italie. Forte de sa formation chez les Compagnons et toujours plus exigeante à l'endroit de ses créations. Clara possède tous les outils en main pour asseoir son rêve et poursuivre son idylle avec le cuir.

Les premières créations de Clara
NextPrevious