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Naissance du chemin de fer Saint-Étienne-Lyon 1826-1833

Un document d'archive exceptionnel

La Médiathèque municipale a acquis un recueil important pour l'histoire de Saint-Étienne.

C'est un registre d'actionnaires à usage unique qui contient 32 pièces administratives sur la construction et l'exploitation de la ligne de chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon, entre 1826 et 1840.

"Compagnie du Chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon : collection des comptes rendus imprimés depuis l'origine jusqu'à l'exercice 1840 inclus"
cote : FAR FE4452

Ce document rare est une collection de comptes rendus financiers des Assemblées Générales des actionnaires de la Compagnie fondée par Marc Seguin et Edouard Biot.

Marc Seguin, ingénieur et mécanicien né à Annonay.

Marc Seguin 1786-1875
Buste sculpté par Eugène Guillaume en 1880. Extrait du livre "Lucien Thiollier, Notices industrielles, La Chambre de commerce de Saint-Étienne, Bustes et portraits", 1894.
Cote : FAR FE659

Une entreprise industrielle inédite

Ces papiers témoignent du projet risqué, des travaux titanesques et du service public rendu par les pionniers de l'industrialisation.

Le tracé présente les plus grandes difficultés, tout est à inventer.

Nous assistons à la naissance de la grande entreprise capitaliste, moteur économique de la région stéphanoise au XIXe siècle.

Table des matières écrite à la plume, incluse dans le recueil d'imprimés sur le chemin de fer, Médiathèque de Saint-Étienne.

L'origine du projet

En 1821, le bassin houiller est relié à la Loire et au Rhône par une route dégradée avec la circulation des charrettes. Les chevaux s'épuisent à tirer des tombereaux remplis de charbon.

Pour faciliter les débouchés et réduire le prix du transport, Louis-Antoine Beaunier propose l'établissement d'un chemin de fer sur le modèle anglais.

Louis-Antoine Beaunier, 1779-1835

Ingénieur des Mines, entrepreneur et pionnier de l'industrie métallurgique et des chemins de fer.
Portrait par Louis Hersent, 1821.
Source : École des Mines de Saint-Étienne

Une première concession en France

Dès 1822, Beaunier demande l'autorisation de construire une voie ferrée du Rhône à la Loire en traversant Saint-Étienne. Mais l'opposition des propriétaires terriens limite le trajet à la Loire.

La concession du chemin de fer d'Andrézieux au Pont-de-l'Âne, sur la rivière Furan, et par le territoire houiller de Saint-Étienne, est accordée en février 1823.

En juin 1827, la mise en service de la ligne Saint-Étienne-Andrézieux est un succès.

Élément décoratif sur le Plan du périmètre n°5, appelé concession de Villars, concédé par Ordonnance Royale du 17 novembre 1834. Lithographie faite à Saint-Étienne en 1854. Cote : FNG 048

L'adjudication d'une nouvelle voie ferrée

Cette ligne primitive est suivie d'une entreprise plus importante : le chemin de fer de Saint-Étienne est prolongé jusqu'à Lyon par la vallée du Gier.
Au lieu d'être attribuée directement, la nouvelle voie fait l'objet d'une adjudication passée le 27 mars 1826, au profit de Messieurs Seguin frères, Biot et Compagnie.
Deux demandes ont été étudiées : le projet Beaunier s'adapte aux inégalités du terrain, tandis que le projet Seguin supprime les sinuosités.

La deuxième concession

Une ordonnance royale accorde la concession à perpétuité de la ligne de chemin de fer Saint-Étienne-Lyon à Camille Seguin, Marc Seguin et Edouard Biot, le 7 juin 1826.
Une société anonyme initiale est constituée.
Les statuts sont approuvés par ordonnance du 7 mars 1827.

La Compagnie du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon

Le Conseil d'Administration est formé de deux catégories de concessionnaires: les ingénieurs et les financiers privés.

Marc Seguin, directeur des travaux.

Portrait extrait de : "Louis Figuier, Les Merveilles de la science, Locomotive et chemins de fer", Paris,1868.

Une fondation contrariée et coûteuse

Le capital ou fonds social est de 10 millions de francs. Il est représenté par 400 actions d'industrie et 2 000 actions de capital, de 5 000 francs chacune, donnant droit à un intérêt de 4% par an.

L'itinéraire du train nécessite d'acheter 900 parcelles de sol à des propriétaires privés incrédules ou réfractaires. La loi d'expropriation de 1833, hors terrains miniers, n'existe pas encore.

Un tracé audacieux suivant la vallée du Gier

Tracé de la ligne de chemin de fer Saint-Étienne-Lyon par Saint-Chamond, Rive-de-Gier et Givors. Lithographie de Charles Motte, Paris, avant 1836.

La navigation fluviale complétée puis concurrencée

Les propriétaires du canal de Givors, qui fonctionne depuis 1778, contestent l'utilité de l'entreprise et exigent l'allocation d'une indemnité.

La liaison entre le rail et le bateau est assurée par l'organisation d'une gare d'eau. Les marchandises convoyées sont déchargées sur le chantier du port de Givors-Canal.

Détail du plan

Écluse sur le canal Saint-Martin

Extrait de : Edouard Charton, "Le Magasin Pittoresque, des canaux de navigation", Paris, 1844.

Un chantier gigantesque

La ligne est construite rationnellement. Elle sert d'abord au transport de la houille et des produits métallurgiques. La distance totale est de 58 kilomètres, divisée en 3 tronçons.

Dans un relief accidenté, il est nécessaire de faire des terrassements et des plates-formes avec des remblais. Seguin veut une double voie sur des longues pentes uniformes et des courbes larges.

En 1839, Seguin vient de consacrer dix ans à construire la voie ferrée de Saint-Étienne à Lyon et il consigne ses observations dans cet ouvrage de référence pour les ingénieurs.
cote : MAG FA2405
Planche, profil régulier de la ligne Saint-Étienne-Givors

La construction d'ouvrages d'art

Percée de Couzon, lithographie de Béraud-Lauras. Extrait de Louis Armand, "Histoire des chemins de fer en France", Paris, 1963.
Cote : IND E1648
Tunnel de Terrenoire représenté en pointillé

Les percements et les galeries

Les souterrains sont creusés selon les techniques minières.
Extrait de : Louis Figuier, "Les Merveilles de la science", Paris, 1868.

Les tranchées

Ouverture d'une tranchée profonde.
La ligne de Marc Seguin corrige la nature et passe en tranchée sur la commune de Pierre-Bénite. Louis Armand, Histoire des chemins de fer en France, Paris, 1963. Cote : IND E1648

Les ponts et les viaducs

Quinze ponts et viaducs sont construits sur l'itinéraire du train. Le viaduc de Voron, à une seule voie, est réalisé en 1828. Il franchit la vallée de l'Onzion à L'Horme et sera élargi à deux voies en 1857.

Transport du charbon par berlines.
Edouard Charton, "Le Magasin Pittoresque, des chemins de fer", 1834.

L'ordonnance royale du 13 juin 1827 accorde la concession d'un terrain insalubre appartenant à la ville de Lyon pour l'établissement d'un "port de garage".

Un grand pont fixe est construit en 1830 au confluent de la Saône et du Rhône. Le pont de la Mulatière est bâti en pierres car Seguin n'a pas encore expérimenté la solidité des ponts suspendus.

Le premier débarcadère est situé à l'extrémité sud de la presqu'île.

Les rails

Seguin anticipe l'amélioration du matériel roulant avec des rails plus lourds et résistants.
Louis Figuier, "Les Merveilles de la science", Paris, 1868.
"Association française pour l'Avancement des Sciences : les premiers chemins de fer dans le département de la Loire", Saint-Étienne,1897. Cote : FAR FE4127
Auguste Moreau, "Traité des chemins de fer : infrastructure", Paris, 1898.

Les anciennes gares ferroviaires

De gauche à droite, de haut en bas : gare de La Grand-Croix ouverte en 1830, puits de mine de La Péronnière (gravure de Perrichon, dessinée par Lancelot vers 1860). Gare provisoire de Châteaucreux, bâtiment en bois construit en 1857 (extrait de : Jean-Claude Faure, "La Loire, berceau du rail français", 2000). Ancienne gare de Saint-Chamond à Plaisance (extrait de : James Condamin , "Histoire de Saint-Chamond", Paris, 1890). Ancien débarcadère, appelé « gare du Bourbonnais » à Lyon vers 1911 (gravure de Joannès Drevet).

L'annonce de la fin des travaux

Les premiers essais réussis

La première section centrale de 15 kilomètres, en pente douce, est ouverte en juin 1830 entre Rive-de-Gier et Givors, au service des marchandises.
Le deuxième tronçon de 21 kilomètres, à plat, est ouvert en avril 1832 entre Givors et Lyon. Quelques passagers sont acceptés.
La troisième section de 21 kilomètres, en montée constante, est ouverte le 1er octobre 1832 entre Rive-de-Gier et Saint-Étienne, place de la Montat, au service des voyageurs puis de la houille.
Eau-forte de Dousseau et Boullemier, Paris, vers 1835.

Le fonctionnement de la machinerie

Sur les plans inclinés fonctionnent des machines à vapeur stationnaires et des « systèmes réciproques » par gravité, équipés de treuils et de câbles.

Pages extraites de la table des matières.
Embranchement à gauche, montée d'un wagonnet avec une machine à vapeur fixe, train de voyageurs qui arrive en roues libres, contrebalancé par un train de wagons, mines et fonderies dans la vallée du Gier. Lithographie Musée Gadagne Lyon, reprise par Gilbert Gardes dans "La Cité industrielle, Rive-de-Gier", 2010.
Stephenson démonte et reconstruit la machine à vapeur Watts, machine fixée à terre. Extrait de "L'inventeur Stephenson, Génie et persévérance", Bruges,1931.

Le modèle anglais

En 1825, Seguin rencontre Stephenson, ingénieur des mines qui construit la ligne industrielle Darlington-Stockton.

En 1828, la Compagnie fait venir en France deux locomotives anglaises qui roulent à 9 km/heure. Seguin les améliore et reste en relation continue avec Stephenson.

Les mécaniciens présentent les derniers modèles de locomotives. Ce concours, du 6 octobre 1829 à Liverpool, détermine la création future des chemins de fer européens. Extrait de : Louis Figuier, "Les Merveilles de la science", Paris, 1868.

Le prototype des véhicules automobiles

Image pour enfants d'après une gravure anglaise. Extrait de : Octave Uzanne, "La Locomotion à travers le temps, les mœurs et l'espace", Paris, 1912 . Cote : IND E1649

La première locomotive anglaise "The Rocket" ("La fusée"), construite en 1830 par George Stephenson, remporte le concours car elle comporte une chaudière tubulaire Seguin.

Cette première locomotive moderne peut rouler à 60 km/heure.

Panorama des trains anglais

Gravure de Hughes sur des dessins de Shaw, publiée à Londres en 1833. Reprise dans "L'Atlas des trains de légende", 2000.

Premier train de chemin de fer anglais en 1833, voitures de première classe et de seconde classe avec 1500 passagers par jour, wagons de marchandises et de bétail.

La locomotive française à grande vitesse

La locomotive Seguin fait ses premiers tours de roue le 1er octobre 1829, quelques jours avant la Rocket de Stephenson.
Elle prend un service régulier en janvier 1831.
Réplique de la locomotive de 1829, à chaudière multitubulaire sans cheminée mais avec deux soufflets-ventilateurs accélérant le tirage. Le principe de la chaudière puissante de Seguin est adopté universellement.

Une invention technique révolutionnaire

22 février 1828 : brevet d'invention de dix ans, n°3744, aux sieurs Seguin et compagnie, à Lyon, pour la construction perfectionnée d'un générateur à tubes creux.
25 mars 1830, brevet d'invention de quinze ans, n°7020, aux sieurs Seguin et compagnie, à Lyon, pour des perfectionnements aux générateurs à vapeur.

Les interventions successives des constructeurs

Stephenson améliore le tirage de la chaudière Seguin en injectant la vapeur d'échappement des cylindres dans la cheminée. Les tiges des pistons actionnent les roues motrices par une bielle et une manivelle.

Les locomotives arrivent à un haut degré de perfection.

Planches extraites de "Le Magasin Pittoresque : des machines à vapeur locomotives, ligne Paris-Saint-Germain", 1837, Édouard Charton.

Le mécanisme de la locomotive utilise la force élastique de la vapeur.

" Les Merveilles de la science ou Description populaire des inventions modernes" : Louis Figuier, Paris, 1868. Cote : POP E6(1)

Les premières locomotives françaises

La locomotive Seguin est construite en douze exemplaires dans les ateliers de Perrache entre 1829 et 1835.

Remorqueur à vapeur suivi du tender qui contient l'eau et le combustible, cylindres verticaux, cheminée avant, 20 km/heure, 1835.

Détail de la lithographie d'Engelmann.
"Association française pour l'Avancement des Sciences, Les premiers chemins de fer dans le département de la Loire", Saint-Étienne, 1897.

La gestion et l'exploitation de la ligne

« Nous avons fait, dans les six derniers mois, pour 3233 francs et 8 centimes de frais de transports de voyageurs. Ne pensez pas qu'on ait eu pour cela à leur offrir de bonnes voitures bien préparées ; c'était seulement quelques chariots vides, souvent ceux qui portent nos charbons ; et le chiffre de centimes que nous avons conservé vous dit assez quel était le prix des places. »

Rapport du Conseil d'administration présenté à l'Assemblée Générale des actionnaires le 20 décembre 1831.

Ligne Saint-Étienne-Lyon, d'après un panneau de papier peint de l'époque, Béraud-Lauras.
Extrait de : Louis Armand, "Histoire des chemins de fer en France", Paris, 1963.
cote : IND E1648

Les tarifs

330 000 tonnes de marchandises sont transportées. La taxe kilométrique est d'abord fixée à 15 centimes par tonne de matière, puis elle est baissée à 9 centimes. Mais une ordonnance de 1831, qui considère la situation financière de la Compagnie porte le tarif à 13 centimes, pour la remonte de Rive-de-Gier à Saint-Étienne. Les prix augmentent par la suite.

Remorque avec caisse, suspension, roues sur rails : Douard Charton : "Le Magasin Pittoresque",1834.

Une innovation peu rémunératrice au début puis un grand succès.

Non prévu initialement, le trafic de voyageurs s'avère plus rémunérateur que celui des marchandises. Les trains ne sont pas si dangereux ...

Edouard Charton, "Le Magasin Pittoresque : des chemins de fer", 1834.

Le confort des passagers

Louis Figuier raconte son voyage de six heures avec le nouveau mode de transport :

« Les voûtes des tunnels étaient si basses et si étroites, les piliers des ponts si rapprochés, que le voyageur qui mettait la tête à la portière risquait de la perdre. Les wagons étaient des boîtes en sapin semblables à des diligences. Nous eûmes le bonheur d'arriver à Saint-Étienne sans encombre; c'était tout ce que l'on pouvait demander à notre embryon de chemin de fer. »

"Les Merveilles de la science, 1867-1891", Tome I, description populaire des inventions modernes, chapitre IV.

Voitures de deuxième classe, dites « cadres » ou voitures à impériales, entre 1832 et 1840.
Assis sur des banquettes, les voyageurs sont en plein air.
Détail d'une lithographie d'Engelmann.

Le perfectionnement des voitures

Octave Uzanne, "La locomotion à travers le temps", Paris, 1912.
Cote : IND E1649
Louis Figuier, "Les Merveilles de la science", Paris, 1868.
Voitures en bois, de première classe, dites « financières », entre 1832 et 1840.
Détail d'une lithographie d'Engelmann.

Le désenclavement de Saint-Étienne

Le chemin de fer est dit « moderne » en 1844, lorsque les trains parcourent toute la ligne en 2h30, de jour comme de nuit, suivant un horaire rigoureux. Il assure la prospérité de la ville de Saint-Étienne.

Le coût des travaux de construction est de 260 000 francs au kilomètre et le coût total revient à 15,3 millions de francs.

Carte postale, gare de Châteaucreux construite entre 1882 et 1884, marquise ou toit du quai d'embarquement et rotonde ou dépôt qui permet le retournement des locomotives, 1910.

Un modèle pour la France

Cette voie ferrée primitive est une invention capitale : elle est l'ancêtre de nos lignes actuelles.

La vallée du Gier est un véritable laboratoire pour les entreprises suivantes. Les infrastructures représentent un saut technologique qui sert de modèle au reste de la France.

Seguin résout complètement le problème de la construction des chemins de fer. Le tracé est visionnaire puisqu'il correspond à la ligne en service encore aujourd'hui.

Octave Uzanne, "La locomotion à travers le temps, les mœurs et l'espace", Paris, 1912. Cote : IND E1649

La voie Paris-Le Pecq, Saint-Germain, ouverte en août 1837, est la sixième ligne établie en France.

Le réseau local puis régional

La ligne ouverte en février 1834 entre Andrézieux et Le Coteau-Roanne constitue l'embryon du réseau local.

Les trois premières compagnies de la Loire fusionnent en 1853, puis sont intégrées à de nouvelles compagnies : le Grand Central et la Société du Bourbonnais.

Auguste Moreau,"Traité des chemins de fer : infrastructure", Paris, 1898.
Façade, gare définitive de Châteaucreux, monument du centenaire inauguré en 1927.

Fin...

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