Un document d'archive exceptionnel
La Médiathèque municipale a acquis un recueil important pour l'histoire de Saint-Étienne.
C'est un registre d'actionnaires à usage unique qui contient 32 pièces administratives sur la construction et l'exploitation de la ligne de chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon, entre 1826 et 1840.
Ce document rare est une collection de comptes rendus financiers des Assemblées Générales des actionnaires de la Compagnie fondée par Marc Seguin et Edouard Biot.
Une entreprise industrielle inédite
Ces papiers témoignent du projet risqué, des travaux titanesques et du service public rendu par les pionniers de l'industrialisation.
Le tracé présente les plus grandes difficultés, tout est à inventer.
Nous assistons à la naissance de la grande entreprise capitaliste, moteur économique de la région stéphanoise au XIXe siècle.
L'origine du projet
Pour faciliter les débouchés et réduire le prix du transport, Louis-Antoine Beaunier propose l'établissement d'un chemin de fer sur le modèle anglais.
Une première concession en France
Dès 1822, Beaunier demande l'autorisation de construire une voie ferrée du Rhône à la Loire en traversant Saint-Étienne. Mais l'opposition des propriétaires terriens limite le trajet à la Loire.
La concession du chemin de fer d'Andrézieux au Pont-de-l'Âne, sur la rivière Furan, et par le territoire houiller de Saint-Étienne, est accordée en février 1823.
En juin 1827, la mise en service de la ligne Saint-Étienne-Andrézieux est un succès.
L'adjudication d'une nouvelle voie ferrée
Cette ligne primitive est suivie d'une entreprise plus importante : le chemin de fer de Saint-Étienne est prolongé jusqu'à Lyon par la vallée du Gier.
Au lieu d'être attribuée directement, la nouvelle voie fait l'objet d'une adjudication passée le 27 mars 1826, au profit de Messieurs Seguin frères, Biot et Compagnie.
Deux demandes ont été étudiées : le projet Beaunier s'adapte aux inégalités du terrain, tandis que le projet Seguin supprime les sinuosités.
La deuxième concession
La Compagnie du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon
Le Conseil d'Administration est formé de deux catégories de concessionnaires: les ingénieurs et les financiers privés.
Une fondation contrariée et coûteuse
Le capital ou fonds social est de 10 millions de francs. Il est représenté par 400 actions d'industrie et 2 000 actions de capital, de 5 000 francs chacune, donnant droit à un intérêt de 4% par an.
L'itinéraire du train nécessite d'acheter 900 parcelles de sol à des propriétaires privés incrédules ou réfractaires. La loi d'expropriation de 1833, hors terrains miniers, n'existe pas encore.
Un tracé audacieux suivant la vallée du Gier
La navigation fluviale complétée puis concurrencée
Les propriétaires du canal de Givors, qui fonctionne depuis 1778, contestent l'utilité de l'entreprise et exigent l'allocation d'une indemnité.
La liaison entre le rail et le bateau est assurée par l'organisation d'une gare d'eau. Les marchandises convoyées sont déchargées sur le chantier du port de Givors-Canal.
Un chantier gigantesque
La ligne est construite rationnellement. Elle sert d'abord au transport de la houille et des produits métallurgiques. La distance totale est de 58 kilomètres, divisée en 3 tronçons.
Dans un relief accidenté, il est nécessaire de faire des terrassements et des plates-formes avec des remblais. Seguin veut une double voie sur des longues pentes uniformes et des courbes larges.
La construction d'ouvrages d'art
Les percements et les galeries
Les tranchées
Les ponts et les viaducs
Quinze ponts et viaducs sont construits sur l'itinéraire du train. Le viaduc de Voron, à une seule voie, est réalisé en 1828. Il franchit la vallée de l'Onzion à L'Horme et sera élargi à deux voies en 1857.
L'ordonnance royale du 13 juin 1827 accorde la concession d'un terrain insalubre appartenant à la ville de Lyon pour l'établissement d'un "port de garage".
Un grand pont fixe est construit en 1830 au confluent de la Saône et du Rhône. Le pont de la Mulatière est bâti en pierres car Seguin n'a pas encore expérimenté la solidité des ponts suspendus.
Le premier débarcadère est situé à l'extrémité sud de la presqu'île.
Les rails
Les anciennes gares ferroviaires
L'annonce de la fin des travaux
Les premiers essais réussis
La première section centrale de 15 kilomètres, en pente douce, est ouverte en juin 1830 entre Rive-de-Gier et Givors, au service des marchandises.
Le deuxième tronçon de 21 kilomètres, à plat, est ouvert en avril 1832 entre Givors et Lyon. Quelques passagers sont acceptés.
La troisième section de 21 kilomètres, en montée constante, est ouverte le 1er octobre 1832 entre Rive-de-Gier et Saint-Étienne, place de la Montat, au service des voyageurs puis de la houille.
Eau-forte de Dousseau et Boullemier, Paris, vers 1835.
Le fonctionnement de la machinerie
Sur les plans inclinés fonctionnent des machines à vapeur stationnaires et des « systèmes réciproques » par gravité, équipés de treuils et de câbles.
Le modèle anglais
En 1825, Seguin rencontre Stephenson, ingénieur des mines qui construit la ligne industrielle Darlington-Stockton.
En 1828, la Compagnie fait venir en France deux locomotives anglaises qui roulent à 9 km/heure. Seguin les améliore et reste en relation continue avec Stephenson.
Le prototype des véhicules automobiles
La première locomotive anglaise "The Rocket" ("La fusée"), construite en 1830 par George Stephenson, remporte le concours car elle comporte une chaudière tubulaire Seguin.
Cette première locomotive moderne peut rouler à 60 km/heure.
Panorama des trains anglais
Premier train de chemin de fer anglais en 1833, voitures de première classe et de seconde classe avec 1500 passagers par jour, wagons de marchandises et de bétail.
La locomotive française à grande vitesse
Une invention technique révolutionnaire
Les interventions successives des constructeurs
Stephenson améliore le tirage de la chaudière Seguin en injectant la vapeur d'échappement des cylindres dans la cheminée. Les tiges des pistons actionnent les roues motrices par une bielle et une manivelle.
Les locomotives arrivent à un haut degré de perfection.
Le mécanisme de la locomotive utilise la force élastique de la vapeur.
Les premières locomotives françaises
La locomotive Seguin est construite en douze exemplaires dans les ateliers de Perrache entre 1829 et 1835.
Remorqueur à vapeur suivi du tender qui contient l'eau et le combustible, cylindres verticaux, cheminée avant, 20 km/heure, 1835.
La gestion et l'exploitation de la ligne
« Nous avons fait, dans les six derniers mois, pour 3233 francs et 8 centimes de frais de transports de voyageurs. Ne pensez pas qu'on ait eu pour cela à leur offrir de bonnes voitures bien préparées ; c'était seulement quelques chariots vides, souvent ceux qui portent nos charbons ; et le chiffre de centimes que nous avons conservé vous dit assez quel était le prix des places. »
Rapport du Conseil d'administration présenté à l'Assemblée Générale des actionnaires le 20 décembre 1831.
Les tarifs
330 000 tonnes de marchandises sont transportées. La taxe kilométrique est d'abord fixée à 15 centimes par tonne de matière, puis elle est baissée à 9 centimes. Mais une ordonnance de 1831, qui considère la situation financière de la Compagnie porte le tarif à 13 centimes, pour la remonte de Rive-de-Gier à Saint-Étienne. Les prix augmentent par la suite.
Une innovation peu rémunératrice au début puis un grand succès.
Non prévu initialement, le trafic de voyageurs s'avère plus rémunérateur que celui des marchandises. Les trains ne sont pas si dangereux ...
Le confort des passagers
Louis Figuier raconte son voyage de six heures avec le nouveau mode de transport :
« Les voûtes des tunnels étaient si basses et si étroites, les piliers des ponts si rapprochés, que le voyageur qui mettait la tête à la portière risquait de la perdre. Les wagons étaient des boîtes en sapin semblables à des diligences. Nous eûmes le bonheur d'arriver à Saint-Étienne sans encombre; c'était tout ce que l'on pouvait demander à notre embryon de chemin de fer. »
"Les Merveilles de la science, 1867-1891", Tome I, description populaire des inventions modernes, chapitre IV.