L'Hebdo Lettres de janvier 2022 est consacré à l'expérimentation de l'enseignement de l'éloquence en classe de 3ème. Depuis la rentrée 2019, cet enseignement ouvre la voie d'un travail riche et formateur sur l'acquisition des compétences orales qui vient irriguer les pratiques didactiques et pédagogiques du cycle 3 au Grand Oral. Ce numéro donne la parole à de nombreux intervenants: enseignants, pilotes, chercheurs, IA-IPR et CARDIE de l'Académie de Grenoble, tous acteurs de l'accompagnement et du renouvellement de l'éloquence au service de l'oral à l'école.
Pouvons-nous penser que la richesse et la vivacité de cet enseignement participent à l'élaboration d' un curriculum de l’apprentissage de l’oral ?
Questions adressées à Yaël Briswalter, IA-IPR de Lettres en charge du suivi académique de l'enseignement de l'éloquence : l'apprentissage de l'éloquence se réduit-il à " l'art de bien parler" dans les pratiques scolaires ? S'agit-il uniquement de pratiquer des joutes oratoires ? Quels enjeux de l'enseignement de l'oral peuvent-être pris en charge dans la pratique de l'éloquence ?
Consacrer un numéro spécial de l’Hebdo lettres à l’éloquence pourrait être perçu comme une occasion opportune, dans une période où plusieurs films ont initié une forme d’engouement médiatique, portés par le charisme de juristes et d’acteurs, illustrés par des concours de joutes oratoires où un je-ne-sais-quoi — qui s’apparente à un certain formalisme, à l’application de techniques et recettes — l’emporte à coup sûr.
À l’autre extrémité de cette perception sans doute séculaire, ancrée dans une temporalité finalement très récente, le terme d’éloquence renverra le public lettré au souvenir élégiaque de ses études, et notamment de ses lectures, d’Aristote et des théoriciens de la rhétorique qui ont suivi. Peut-être même sourira-t-il en imaginant Démosthène masqué, n’ayant plus à perfectionner son élocution avec des cailloux dans la bouche : la face de l’éloquence en eût-elle été changée ?
L’enseignement de l’éloquence fait aujourd’hui l’objet d’une expérimentation nationale . Plus d’une quarantaine de classes de l’académie sont accompagnées par des professeurs de lettres, d’histoire-géographie, de langue, ou encore des professeurs documentalistes. Les pratiques variées, élaborées par les équipes en fonction des besoins des élèves qu’elles ont identifiés ont pu être en grande partie mutualisées sur le site des lettres et ce numéro vient encore en enrichir le fonds.
Ce qui ressort de l’observation des différentes pratiques est que l’éloquence sert plusieurs causes : l’oralité, avec toutes les qualités qui relèvent de la prosodie et de la posture ; l’argumentation, avec la capacité à convaincre, mais aussi de participer, en interaction, à un dialogue. Et ces deux compétences incluent bien entendu la confiance en soi et l’empathie (ou du moins l’écoute de l’autre), et l’on perçoit ainsi que l’éloquence est, modestement, une modalité complémentaire de l’enseignement de l’oral.
Et l’enjeu véritable de ces travaux est bien celui-ci : comment, nous, professeurs, en travaillant en interdisciplinarité, pouvons-nous œuvrer à la construction collective d’un enseignement de l’oral encore amélioré ?
Des conditions semblent devoir être réunies pour rendre effectif le renforcement de ces qualités. D’abord, et cela est souligné par le rapport de l’IGESR, la nécessité d’une progression pédagogique : une simple succession d’exercices de répétition de procédures (rhétorique formaliste ou entrainement « sportif ») ne saurait, pas plus que dans d’autres domaines, montrer une pleine efficacité. Ensuite, cette progression de l’enseignement de l’oral porte sur un temps long, de l’école au lycée, voire au-delà (1) : apprendre en quelques heures, quelques semaines ou quelques mois des techniques qui permettraient de devenir éloquent est illusoire. Enfin, pour construire un curriculum de l’apprentissage de l’oral, les pratiques évaluatives constituent pour nous tous un appui majeur. Socle commun de connaissances et de compétences, Oral du DNB, oral de l’EAF, Livret Scolaire du lycéen, Grand oral : nous disposons de tous les outils qui nous permettent de rythmer des acquisitions incontournables.
(1) Anne Vibert, IGESR, rappelle que « la classe de rhétorique, jusqu’à la fin du XIXe siècle, consacrait toute une année à la composition des discours et était anticipée dans la classe de seconde dite d’Humanités par tout un ensemble d’exercices préparatoires, les progymnastata. Et que la classe de rhétorique elle-même alternait enseignement des préceptes, analyse rhétorique des modèles et composition et déclamation. ».
On pourra se référer par exemple à l’’article d’introduction du numéro de Recherches et travaux qui réunit les actes du colloque « Penser le retour de l’éloquence dans son enseignement ».
Éloquence, rhétorique, littérature. Tensions et interrogations, Marion Mas, Catherine Nicolas et Anne Vibert
<= Démosthène s'exerçant à la parole, toile de Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ (1842-1923) Pour renforcer sa voix, Démosthène s'exerce contre le bruit des vagues.
Zoom sur Le projet du collège Georges Gouy, Vals-Les-Bains (07) présenté par Lise Biscarat, professeure de Lettres : l’oral, un apprentissage explicite et progressif.
En quoi les résultats du test de fluence ont-ils constitué un déclencheur pour une réflexion d’équipe sur l’oral ?
L’introduction du test de fluence en 6ème en 2020, a été l’occasion d’une découverte pour la plupart des enseignants de collège. Était apportée l’occasion de se rendre compte, de façon objective, du niveau de fluidité de lecture des élèves. Alors que la fluence est une compétence travaillée au cycle 2, au collège, cela était beaucoup plus rare. Pourtant cette compétence de lecture fluide à voix haute est très pratiquée dans toutes les matières et conditionne la compréhension, sans en être la clé. Pour le collège Georges Gouy de Vals-les-Bains, les résultats des tests ont été un vrai coup de massue: plus de 50 % des élèves de 6ème étaient bien en dessous de la moyenne nationale de 120 mots lus à voix haute sans erreurs en une minute.
Suite à ce constat, l’équipe pédagogique, soutenue par l’équipe administrative a suivi une formation sur la fluence mise en place par Mme Debras, IA-IPR de lettres, en début d’année scolaire 2020 et a pu bénéficier de l’expérience de Mme Julie Lacroix, enseignante au collège Liers et Lemps. Ainsi, s’est créée au collège de Vals, une équipe interdisciplinaire et ouverte aux AED qui s’est chargée de l’entrainement à la fluence sur une courte période de huit semaines avec des résultats probants.
Les élèves retenus pour ce dispositif ont ainsi lu, en moyenne, vingt mots de plus par minute et ont manifestement pris du plaisir en voyant leur progression au fil des semaines : certains levaient plus volontiers la main en classe pour lire les consignes par exemple, d’autres se mettaient à regarder les films en version originale car ils arrivaient enfin à lire les sous-titres suffisamment rapidement.
Au-delà de ces résultats tangibles, cette expérience a réussi à impliquer la plupart des enseignants, toutes matières confondues, et l’équipe d’AED : il s’est créé une synergie au sein de l’établissement. Le travail de l’oral n’était plus un pré carré réservé aux lettres ou aux langues vivantes mais devenait l’affaire de tous, chaque discipline pouvant contribuer à faire progresser les élèves.
Pouvez-vous expliquer comment vous êtes passé d’un projet d’équipe centré sur la fluence à un projet élargi à l’éloquence ?
Le ressenti de l’impact sur les résultats, sur les élèves et sur les équipes pédagogiques a constitué le départ d’une réflexion sur la création d’un parcours explicite et progressif axé sur l’oral pour les élèves de collège. Très vite est venue l’idée de monter une expérimentation interdisciplinaire. La construction de ce parcours commencerait en 6ème avec le travail sur la fluence en ciblant les élèves qui en auraient besoin. Mais qu’en serait-il de la suite ? La question qui s’est posée aux enseignants était de lier ce travail à la compréhension puis à la communication orale.
Pour les 5ème, s’est imposé le projet de développer le travail de lecture à voix haute en travaillant la compréhension et l’interprétation, dans toutes les matières (texte documentaire en Sciences et Techniques ou Histoire-Géographie, EMC, dialogue en Langue Vivante, roman, conte en Français…). L’usage de la radio pourrait avoir toute sa place dans ce travail pour qu’il soit valorisé au travers d’émissions rendant compte des différentes lectures. L’ajout de sons, bruitages, musiques grâce au montage vient habiller le texte lu et appuyer la nécessité d’une lecture expressive. C’est aussi un moyen d’évaluation, de valoriser la lecture, outre la diffusion à la radio.
La poursuite de ce travail avec les 4ème se ferait autour d’une pratique régulière de l’oral en lien avec le corps, à travers un atelier théâtre. L’idée serait de développer un travail sur la voix, la position du corps, l’interprétation, le non-verbal.
Enfin, et dans l’optique du DNB, ce parcours pourrait s’achever en 3ème sur une préparation de l’oral avec une attention portée sur l’éloquence au sein d’ateliers pour tous afin de développer « une intelligence pratique rendant sensible le fonctionnement des discours et leurs effets ». Ce travail pourrait être intégré, cette fois, au cours de français avec des heures de groupe par quinzaine.
Alors même que vous entrez dans cette phase d’expérimentation, quels effets pouvez-vous déjà mesurer dans l’établissement ?
La constitution de ce parcours est intéressante car elle balise une progression dans l’apprentissage de l’oral dans toute sa diversité et le considère comme un objet d’enseignement. Elle autorise aussi les enseignants de chaque matière à la mise en place d’activités spécifiques à travers un référentiel commun de compétences. Nous n’en sommes qu’au début de l’expérimentation mais nous constatons que ce projet balisé, commençant par la fluence et visant une certaine aisance à l’oral, permet une collaboration effective et roborative des différentes disciplines. Nous avons conscience également que cette place accordée à l’oral prépare les élèves, non seulement à la poursuite de leurs études – pour certains au Grand Oral- mais aussi à leur vie professionnelle et de citoyen.
Exemple de stratégie de développement des compétences orales et préparation de l'épreuve orale du DNB au collège Jean Lachenal, Faverges-Seythenex (74) présenté par Laïla Methnani, professeure de Lettres.
Laïla Methnani propose le récit d'une expérimentation qui vise à créer une culture commune de l'oral en établissement.
Pourquoi avoir choisi de travailler les compétences orales en classe de 3ème ?
Fort de notre engagement collectif dans l’expérimentation de l’enseignement de l’éloquence (2 classes de 3ème et 4 classes de 4ème) au collège Jean Lachenal , Faverges Seythenex (74) en 2019-2020 relaté sur le site de Lettres de l’académie de Grenoble et présenté par Nicolas Rouvière, enseignant-chercheur au colloque « Penser le retour de l’éloquence et de son enseignement » (Lyon, novembre 2020), nous travaillons effectivement les compétences orales au collège.
Oui, c’est certain, mais à géométrie variable selon les enseignants, les niveaux et nos compétences. Des événements de paroles proposés dans une pédagogie de projet ne suffisent pas à assurer un enseignement progressif de l’oral pour chaque élève de 3ème. Au final, la préparation de nos élèves de 3ème à l’épreuve orale du DNB semble revenir aux professeurs principaux, aux deux enseignants référents Culture et à la bonne volonté des enseignants volontaires pour donner un coup de pouce aux élèves.
Au delà, nous sommes conscients de l’iniquité devant laquelle sont placés nos élèves car beaucoup d’entre eux prennent appui sur le cercle familial quand les compétences de l’oral sont au coeur de nos métiers et de nos pratiques pédagogiques. Lors d’un conseil pédagogique en janvier 2021, j’ai été particulièrement sensible à l’absence d’alignement pédagogique entre la grille d’évaluation de l’épreuve orale du rapport de stage en entreprise et l’explicitation qui en était faite aux élèves. Cette grille était donnée aux élèves peu de temps avant chaque épreuve (oral du stage en entreprise, oral du DNB) sans qu’une préparation progressive partagée ne soit construite au fil de l’année de 3ème.
Or, cette grille devrait être le fruit d’une culture commune réellement partagée dans l’établissement : comment se positionner, questionner et faire évoluer cette grille sans se l’être appropriée ? Comment peut-on prétendre évaluer des compétences qui n’auront pas été identifiées, explicitées et travaillées dans les classes ?
Mais alors, comment procédez-vous pour créer une culture commune de l’oral en établissement ?
Lors d'un conseil pédagogique en juillet 2021, j’ai adressé une proposition au chef d’établissement : constituer un groupe d’enseignants interdisciplinaires en 3ème qui se lance dans un travail de développement des compétences orales en prenant appui sur la grille d’évaluation du Grand Oral et sur la grille d’évaluation de l’oral du DNB, sur le livret d’accompagnement réalisé par un professeur d’Arts plastiques/référent Culture et deux professeurs de Lettres.
Cette recommandation est présente dans le rapport de l’IGESR sur l’expérimentation de l'enseignement de l’éloquence paru en mars 2021, p.15 :
Zoom sur des enseignants-pilotes pédagogiques de l'enseignement de l'éloquence dans un entretien polyphonique.
L'expérimentation de l'enseignement de l'éloquence en classe de 3ème fait évoluer les pratiques pédagogiques et didactiques des enseignants pilotes dans leurs classes. Peut-on mesurer ces évolutions sur l'acquisition plus large des compétences orales ?
Cet entretien polyphonique questionne l'acquisition des compétences discursives, langagières et la maitrise de l'oralité pour les élèves. Il ouvre aussi la réflexion sur les effets de cet enseignement dépourvu de programme : quelles évolutions des pratiques et postures enseignantes sont à l'oeuvre ?
Comment "engager toute la personne du locuteur – le "caractère"entier d’un orateur voué à être un "homme de bien" " dans une pédagogie de projet qui a pour objet le concours d'éloquence ?
Le rapport IGESR sur l'expérimentation de l'éloquence (p.22) rappelle que "l’enjeu d’un véritable " enseignement ", qui ne se réduise pas à un " atelier ", tient à l’inscription de cette technique dans ce qui lui donne sens : une véritable culture de la parole ; le travail du discours n’est en effet, montrent bien les historiens de la rhétorique et de l’éloquence, qu’un aspect plus vaste d’un art qui engage toute la personne du locuteur – le "caractère" entier d’un orateur voué à être un " homme de bien ", pour reprendre les termes répétés par les traités de rhétorique de l’ Antiquité à la première modernité."
Michelle Micheli, CPE et Béatrice Candelon, professeure documentaliste au collège et lycée général international Europole de Grenoble organisent un concours d’ éloquence avec huit établissements de l'agglomération grenobloise, en lien avec la Maison des avocats. Chaque établissement bénéficie de l'accompagnement de professionnels "avocats, acteurs" qui suivent les travaux des élèves sur l'année.
Vous pilotez un vaste projet puisqu'il concerne de nombreux établissements grenoblois : pouvez-vous nous expliquer comment vous avez procédé et mis en œuvre ce travail sur l'enseignement de l'éloquence ?
En s’inspirant des expériences précédentes, j’ai souhaité lancer pour l’année scolaire 2020 – 2021 un Concours d’éloquence destiné à tous les collégiens de 3ème. Dès le mois de juin j’ai écrit le projet qui a été envoyé à tous les établissements de l’agglomération. En septembre quatre collèges (Chartreuse de Saint Martin le Vinoux, Barnave de Saint Egrève, Alexandre Fléming de Sassenage et Europole de Grenoble) ont accepté de se lancer, sans savoir vraiment quel chemin prendre, en tâtonnant, en se faisant confiance par un travail collectif et bienveillant.
La professeure documentaliste du collège Chartreuse, Mme Salerno, s’est jointe à moi pour l’organisation et nous avons organisé à deux, sur toute l’année, les réunions de coordination avec les établissements, les prises de contact avec tous les partenaires, jusqu’à la Grande Finale du 10 juin 2021 à La Vence Scène de Saint Egrève ! Ce fut une première aventure incroyable, riche en émotions avec des élèves qui nous ont littéralement épatés !
Je suis désormais en poste au collège Europole, et, avec la professeure documentaliste, Mme Candelon, nous repartons cette année dans ce beau projet avec huit établissements inscrits. Le plus important pour nous c’est le travail de collaboration entre les enseignants, les avocats partenaires du projet et les professionnels du théâtre.
Avec toute une équipe engagée d'enseignants, professeurs documentalistes, avocats et professionnels du théâtre bénévoles, Nous permettons ainsi aux élèves de travailler avec une approche la plus complète possible, en abordant à la fois l’argumentation, la rhétorique, l’écoute des autres mais aussi la prise de parole, la mise en voix et en espace, la confiance en soi. Enfin, l’idéal, lorsque c’est possible, est d’inclure ce projet au sein même de la classe ce qui permet d’impliquer tous les élèves. Ensuite, la participation au concours doit se concevoir sur la base du volontariat. Il ne doit y avoir aucune obligation de participation aux sélections.
Qu'est-ce qui motive ce projet ? Qu’est ce que cela apporte aux élèves ? Le dispositif profite-t-il seulement aux élèves scolaires ?
Le plus important est qu’il apporte à tous les élèves. Ce projet leur permet de mobiliser des techniques oratoires, de mieux maîtriser l’expression orale. Les élèves apprennent à développer l’esprit critique, l’argumentation et la capacité de persuasion. C’est aussi un temps pour prendre en compte le point de vue et les arguments de l’autre. C’est un outil pour progresser en se faisant plaisir dans la performance, mais aussi pour agir sur l’ambiance scolaire en s’impliquant dans un projet d’établissement sur la durée.
Quelles sont vos perspectives pour cette année 2021-2022 ?
Impliquer plusieurs établissements ouvre de belles perspectives en termes de travail d’équipe inter-collèges. Ce projet permet en effet de favoriser le lien avec les autres collégiens des établissements de l’agglomération autour d’un événement attractif, fédérateur et captivant. La liste est longue de toutes les compétences travaillées autour d’un seul projet. C’est aussi et surtout l’occasion, en sortant du cadre purement scolaire, de fédérer, de partager. C’est, grâce à la diversité des intervenants et la mutualisation des compétences, la possibilité de vivre de belles émotions ensemble dans une richesse des pratiques. C’est se faire plaisir dans une période qui manque terriblement d’insouciance.
Travailler avec des avocats, des professionnels du théâtre enrichit nos pratiques.
Notre Grande Finale aura lieu le 31 Mai 2022 à la salle de La Vence Scène de Saint Egrève. Le soutien de Monsieur Eric VAILLANT, procureur de la République, et membre du jury de cette finale, est sans aucun doute une belle reconnaissance.
Comme le souligne le rapport IGESR sur l'expérimentation de l'éloquence (p.25) , " par l’éloquence, on donne aussi aux élèves l’envie et les moyens de créer : on trouve dans ce champ nouveau autant d’itinéraires pour y parvenir que d’élèves différents et riches. Tous y apprendront à penser leur histoire, à se réapproprier leur langue, à oser la partager. "
Zoom sur l'inclusion : comment inclure les élèves porteurs de handicap dans l’enseignement de l’éloquence ?
Vous accompagnez des élèves qui sont sourds profonds et/ ou équipés. Ces collégiens sont inclus dans les enseignements ordinaires et peuvent travailler l’oral, l’éloquence.
- Quelles difficultés rencontrent-il (vocales, interprétation, élocution, émotions) ?
- Comment les accompagnez-vous : avec quels outils ? En matière d’aménagements ?
- Quels conseils pouvez-vous donner à des enseignants de collège/ lycée qui accueillent des jeunes sourds dans leurs classes pour travailler l’oral, l’éloquence ?
Focus sur l’enseignement de l’éloquence en collège : une stratégie au service de la réussite éducative.
Entretien avec Gwenaëlle Pigault, principale du collège du Chéran à Rumilly (74)
Pourquoi avoir choisi d’investir l’enseignement de l’éloquence dans votre établissement ?
Au collège du Chéran, nous nous sommes lancés dans l’enseignement de l’éloquence avec la conviction que cela pouvait amener nos élèves à :
- Une meilleure réussite scolaire et une meilleure intégration dans le monde professionnel
- Une plus grande aptitude à exprimer leurs sentiments par des mots et à gérer leurs émotions voire leur violence.
Nous constatons en effet de façon empirique depuis quelques années un déficit croissant de vocabulaire chez les jeunes. Ce phénomène est fortement corrélé à un désintérêt de plus en plus marqué pour la lecture de livres. « Ils n’ont plus les mots ». Cet appauvrissement de leur vocabulaire les handicape non seulement dans les matières scolaires mais aussi dans leurs relations interpersonnelles. Les conflits dégénèrent trop rapidement en violence verbale voire physique.
En parallèle, notre monde requiert de plus en plus de compétences dans ces domaines. A l’heure du correcteur d’orthographe, la « sélection » se fait sur la prestance, la capacité à argumenter, la maitrise du verbe. Or dans notre établissement, la population scolaire est composée de 50% de enfants issus de milieux défavorisés, il devenait important pour nous de travailler ces items très discriminants pour ces jeunes.
Comment avez-vous procédé pour essaimer cet enseignement de l’éloquence dans l’établissement ?
Notre réflexion a, dès le début, porté sur plusieurs champs : promotion de la lecture, activités théâtrales et enseignement de l’éloquence. En ce qui concerne cette dernière, nous avons commencé l’an passé par des débats entre jeunes de 3ème avec une progression qui les a amenés à une prestation filmée qu’ils ont pu visionner et commenter. Le bilan a été plutôt positif mais l’activité n’a pas concerné l’intégralité des élèves de ce niveau, or il nous semble important que tous soient impliqués.
Nous axons cette année notre travail sur une préparation des oraux de stage et de brevet tant sur le fond que sur la forme. De cette façon nous intervenons directement dans la réussite des élèves et dans leur préparation à leur futur oral de bac. Cela nous permet aussi de mesurer rapidement et efficacement la pertinence de notre action.
Parallèlement, une classe de 4ème expérimente l’argumentation sur le thème de « mon combat ». Après avoir choisi une cause, les élèves doivent trouver une façon de la présenter et de la défendre en utilisant la forme de leur choix.
Quelles perspectives envisagez-vous pour la suite de l'expérimentation ?
De nouveau nous sommes donc sur des tâtonnements et des essais, à améliorer ou à amender selon ce que nous constaterons mais les professeurs impliqués sont enthousiastes et impatients de commencer ce travail tant nous sommes tous convaincus qu’il est nécessaire. Selon les résultats obtenus, nous étendrons nos propositions aux élèves plus jeunes dans l’objectif non seulement de promouvoir l’égalité des chances et la réussite scolaire mais aussi d’influer de façon positive sur le climat de l’établissement et le vivre ensemble.
La CARDIE de l'Académie de Grenoble : penser des indicateurs pour mieux enseigner l’oral dans la classe, dans l’établissement et dans un territoire.
La Cellule Académique Recherche Développement Innovation Expérimentation de l'Académie de Grenoble pilotée par Pascal Boyries, IA-IPR d'histoire-géographie, EMC, accompagné de Nisa Fiogère et Nicolas Vossier, chargés de mission fait le constat suivant :
"Souvent les équipes se lancent dans une expérimentation sans prendre le temps d’expliciter leur démarche (c’est-à-dire la problématique professionnelle qui sous-tend leur expérimentation, l’ hypothèse qu’elles testent, les objectifs qu’elles veulent atteindre, leur plan d’action et surtout les indicateurs à mesurer pour vérifier que ce qu’elles mettent en œuvre améliore bien les apprentissages). Ce travail est pourtant important puisqu’il aidera les équipes à analyser ce qu’elles font et à éventuellement réajuster ce qu’elles ont mené. Nous aidons à formaliser ce travail à travers les fiches « Expérim », comme la fiche « Expérim 2 ». Nous proposons également des accompagnements que nous co-construisons avec l’inspection pédagogique et la Formation Tout au Long de la Vie. Un séminaire sur l’expérimentation de l’ éloquence sera prochainement proposé aux établissements."
Vous proposez aux équipes pilotes de l'enseignement de l'éloquence de construire des indicateurs élèves, enseignants et établissements. Que peuvent permettre ces indicateurs pour les enseignants ? A quoi servent-ils ?
Nous avons formalisé un tableau d’indicateurs. Il est le fruit d’un travail conjoint entre l’inspection pédagogique régionale de Lettres et la CARDIE. Comme pour les autres tableaux d’indicateurs que nous avons ou sommes en train de fabriquer, il s’appuie sur la typologie de l’UNESCO (indicateurs de contexte, de moyens, de processus, de résultats) et sur trois cibles : l’élève, l’enseignant, l’établissement.
La typologie de l’Unesco est intéressante car elle permet de dépasser les simples résultats obtenus et invite à regarder aussi le contexte de l’établissement ou de la classe et à le suivre. Une évolution du contexte peut parfois expliquer une évolution des résultats à elle-seule. Observer les processus que l’on engage permet aussi de vérifier que l’on s’engage vraiment.
Nous proposons trois cibles. L’élève, bien entendu est la cible principale. Mais il nous semble aussi important de regarder les enseignants : le temps, l’investissement que cela leur demande par exemple. Si un projet est superbe, mais demande des dizaines d’heures complémentaires aux équipes, alors il n’est pas tenable dans le temps, ou il faut complètement repenser l'approche. Enfin, Il est important aussi de regarder à l’échelle de l’établissement pour mesurer les effets sur les équipes, le climat scolaire, les résultats globaux, etc.
Les indicateurs sont à prendre comme un outil au service des enseignants et des équipes et non comme une contrainte, encore moins comme une volonté de contrôle.
Lorsqu’un enseignant se lance dans une expérimentation, il prend des risques parce qu’il sort de sa zone de confort, s’engage dans un chemin plein d’incertains. Il y met de l’énergie, du temps, beaucoup de lui-même. Cet engagement est un investissement, il espère en sortir un certain nombre de bénéfices : au moins de la satisfaction, l’impression d’avoir un peu changé, avancé dans ses pratiques, d’avoir fait avancer ses élèves, de voir dans leurs yeux la satisfaction d’avoir progressé sur un champ qui leur donne des outils pour construire leur avenir. Mais, trop souvent, le seul retour qui est fait est un retour lié à cette satisfaction, elle a son importance, mais est-elle partagée ? Est-elle le seul apport que l’investissement important mis en œuvre a contribué à apporter ?
Les indicateurs sont là pour essayer d’objectiver un minimum les apports et de définir des champs sur lesquels on souhaite surveiller ses apports. Ces champs sont en lien avec les objectifs que l’on s’est donnés, donc les indicateurs choisis peuvent varier d’un établissement à l’autre, d’une équipe à l’autre si les objectifs choisis ne sont pas les mêmes. Une équipe qui entre dans l’éloquence pour stimuler la réussite chez les élèves en difficulté va choisir des indicateurs sur ces derniers, une autre équipe qui construit son projet autour de l’aisance de tous dans l’expression orale, va choisir d’autres indicateurs. Prendre le temps de choisir des indicateurs c’est donc déjà prendre le temps de vérifier si l’équipe est bien d’accord sur les objectifs définis. Ensuite, dans un deuxième temps, les indicateurs sont aussi formatants. Une fois choisi, l’équipe va tout mettre en œuvre pour le faire évoluer positivement, ce travail contribue donc à focaliser l’action. Mais cela peut aussi avoir des effets pervers : on cherche à faire bouger l’indicateur coûte que coûte par n’importe quel moyen (c’est le reproche qu’un nombre croissant d’économistes fait au PIB). Ce risque est réduit si les objectifs sont bien clairs.
Il faut également être au clair sur le fait que conduire une expérimentation sur l’éloquence n’est pas conduire un travail de recherche. Les indicateurs n’ont donc pas à avoir la même robustesse que dans un travail de recherche. Ils sont là pour donner une « indication » sur le contexte, les processus, les moyens mis en œuvre, et les résultats obtenus. Il ne s’agit donc pas de les multiplier, mais dans choisir quelques-uns : la fiche Expérim 2 de la CARDIE en propose six, mais il peut y en avoir moins. Par contre il est important de balayer les trois cibles et les types d'indicateurs. Vous trouverez une proposition pour l’éloquence sur le site de la CARDIE.
Certains indicateurs peuvent être subjectifs, comme ceux demandant aux élèves de positionner leur motivation sur une échelle de 1 à 10 mais cette subjectivité va tout de même avoir des effets concrets sur leur engagement.
Le mot de la fin : conclusion d'Anne Vibert, Inspectrice Générale de l'éducation, du sport et de la recherche.
L’expérimentation « éloquence » a marqué le retour officiel dans notre enseignement secondaire d’un terme qu’on pouvait penser sorti de l’usage scolaire depuis ce moment de rupture, à la fin du XIXe siècle, où l’exercice du discours s’est vu progressivement évincé par la composition française et la rhétorique supplantée, dans l’enseignement des lettres, par l’histoire littéraire. Tandis qu’aux États-Unis la transmission de la culture rhétorique s’est poursuivie à travers les « speech departments » des universités et la pratique des joutes oratoires, elle s’est interrompue en France dans l’enseignement et ne s’est conservée dans l’institution judiciaire qu’à travers la formation des avocats. Ce sont finalement les concours d’éloquence, dont la vogue s’est accrue depuis une quinzaine d’années, qui ont fait revenir sur le devant de la scène le mot et la pratique du discours public. Mais en revenant ainsi dans l’actualité, le mot a perdu le sens qu’il avait lorsqu’il était encore en lien avec l’enseignement de la rhétorique. On le voit bien avec les films à succès qui l’ont popularisé et qui sont évoqués dans l’introduction de ce numéro : les concours y conduisent à des performances qui relèvent plus du stand-up que d’un exercice de l’argumentation fondée en raison et reposant sur des valeurs partagées. S’ils jouent un rôle indéniable en suscitant un désir de parole et en en faisant un objet tout à la fois de formation et de réflexion, ils ne peuvent être cependant un modèle pour l’enseignement (et je renvoie à ce qu’en dit mon collègue Alain Brunn dans son article « La force de la parole : éléments de réflexion sur la place de l’éloquence aujourd’hui » dans le numéro de Recherches et travaux déjà cité ). Car il ne s’agit pas d’enseigner une parole qui ne cherche qu’à briller et à l’emporter par tous les moyens, au mépris de la vérité et de l’éthique, mais de prendre en compte également la formation de la pensée, du jugement et du raisonnement de nos élèves en tirant parti de tout ce que la dimension orale et publique de la parole peut apporter à cette formation.
L’intérêt de ce retour en grâce de l’éloquence est bien de faire revenir au premier plan l’apprentissage de l’expression orale dans un enseignement très centré sur l’écrit et l’approche intellectuelle des savoirs qui ne laisse guère de place au corps et aux émotions. Certes, la préoccupation de l’oral n’est pas nouvelle : elle est inscrite depuis les années 1970 dans les programmes de français et figure à la première place depuis les programmes de 2015. Mais dans la réalité, l’oral peine à trouver une égale dignité avec l’écrit, pour des raisons que, pour faire bref, on pourrait résumer en deux points principaux : la difficulté de cerner l’oral en tant qu’objet d’enseignement, puisque l’oral est partout dans les échanges et dans l’enseignement ; le fait que l’oral engage toute la personne (corps, voix, émotions), avec tout ce que cela suppose d’exposition de soi et de prise de risque, et ne se réduit pas à l’élaboration d’un contenu à communiquer. Ce n’est donc pas un hasard si l’expérimentation « éloquence » pour la classe de 3e ne s’est pas restreinte à l’art du discours public mais a englobé dans son périmètre les arts de la parole au sens large et en particulier le théâtre.
On a vu, du reste, dans ce numéro, que l’expérimentation a permis d’investir, outre les concours d’éloquence et plus largement la pratique de l’argumentation pour défendre une cause, la lecture à haute voix, le jeu de rôle et le théâtre. Et loin de se restreindre à la classe de 3e, cette expérimentation, conjuguée avec la mise en place du Grand oral en Terminale, mais également le test de fluence en 6e, a conduit certaines équipes, dans une approche interdisciplinaire, souvent à l’initiative des professeurs de lettres, à repenser la préparation des élèves à l’épreuve orale du brevet et plus largement, l’ensemble de leur parcours de formation à l’oral. On voit ainsi, à travers les dispositifs et projets évoqués dans ce numéro, la lecture à haute voix longtemps décriée retrouver toute sa place dans les apprentissages, non seulement pour la compréhension en lecture et l’interprétation des textes, mais plus largement, pour travailler des dimensions de l’oral sur lesquelles il n’est pas toujours facile de concentrer son attention : la voix, la respiration, l’articulation, la prosodie. Les activités théâtrales, bien représentées dans l’expérimentation « éloquence », et qui mettent encore davantage en jeu le corps et les émotions, sont également convoquées dans le parcours de formation des élèves. Et l’épreuve orale du brevet, qui était entrée dans une forme de routine et donnait lieu à peu d’apprentissages, s’en est trouvée revivifiée, comme le montrent deux contributions de ce numéro : l’une qui le situe comme l’aboutissement d’une progression explicite axée sur l’oral pour les élèves de collège ; l’autre qui en fait le sujet de la réflexion d’un groupe de travail interdisciplinaire consacré au développement des compétences orales et à leur explicitation pour les élèves de 3e. C’est ainsi une culture commune de l’oral qui se construit, avec des compétences clairement identifiées, et qui donne tout son sens à l’évaluation de l’oral du DNB, lui-même étant une étape dans un parcours qui se poursuivra au lycée jusqu’au Grand oral, ce « nouvel objet rhétorique, à la fois complexe et déroutant », que décrit Christine Noille dans son article sur « L’ancienne rhétorique et l’étude des textes » et qui ne prend son sens que s’il est l’aboutissement d’apprentissages commencés bien en amont, à l’école et au collège.
Les expériences et réalisation pédagogiques présentées dans ce numéro montrent bien, en tout cas, la conscience d’une formation qui doit se construire dans le temps et selon une progression pensée en commun, ainsi que la richesse de cette prise en compte effective de l’oral dans les apprentissages des élèves comme dans la réflexion des enseignants sur leurs pratiques. L’expérimentation « éloquence » a bien été à la fois un levier et un élément déclencheur pour penser, en amont de la classe de 3e, et, espérons-le, également en aval, un enseignement renouvelé de l’oral, en phase avec notre époque qui joue désormais de tous les modes de communication : écrite, orale, par l’image, et en phase avec les besoins des élèves qui non seulement sont appelés à développer des compétences de littératie et d’oral, mais doivent apprendre à devenir les sujets et les acteurs de leur propre parole. On ne peut donc que souhaiter que les réalisations et les projets présentés dans ce numéro fassent école, se poursuivent et s’enrichissent de l’expérience acquise, et que les professeurs de lettres soient à la fois les moteurs et les experts, auprès de leurs collègues, de ces parcours de formation à l’oral, qu’ils soient nourris des apports de la rhétorique, de la lecture expressive des textes ou du théâtre.
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Pour aller plus loin : ressources pour la classe
Cette application permet de répondre à plusieurs freins de l'enseignement de l'oral : sa volatilité et sa dimension chronophage pour l'enseignant. Le professeur dispose de 3 niveaux de pratiques : il invite l'élève à s'enregistrer (version dictaphone qui génère un fichier téléchargeable), il peut proposer des activités orales enregistrées et aussi des entrainements, avec limite de temps, type oral du DNB, EAF et G.O. L'application propose aussi la création de commentaires audio sous la forme de capsules.
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Laila Methnani Pixabay