Réalisée le 12-13 février 2023
La Vanoise est au Savoyard ce que le Mont Blanc est à son jumeau du Nord : le massif emblématique de ce département. Présent en totalité en territoire savoyard, le Massif de la Vanoise constitue le coeur montagnard du département. Poumon économique de la région via ses immenses domaines skiables - les plus vastes du monde - il est également son poumon vert en abritant un parc national. Et pas n'importe quel parc puisqu'il s'agit du premier parc national créé en France, en 1963. Tout comme son voisin italien, le Parc National du Grand Paradis, qu'il jouxte au niveau de la frontière interétatique, l'une des raisons principales à sa création est la quasi disparition du bouquetin durant la première moitié du XXème siècle. Présent sur plus de 500km2, le Parc National de la Vanoise n'a pas bénéficié d'une image positive tout au long de ses six décennies d'existence : inviolabilité de sa frontière face aux extensions des domaines skiables, contraintes économiques pour les habitants de la région, protection d'espèces dites ''nuisibles'' aux activités pastorales telles que le loup. Ce n'est que récemment que le titre de ''Parc National'' est signe d'opportunité plus que de contraintes : protection environnementale, dépaysement, beauté de la nature. Mais cela ne va pas sans contreparties. Le problème numéro un dont le Parc National de la Vanoise doit faire face, en dehors de celui du réchauffement climatique, est celui de la surfréquentation. L'attrait de la zone protégée a conduit de nombreux touristes a foulé les multiples sentiers qui quadrillent ce massif, notamment le GR55 du Tour des Glaciers de la Vanoise. Et la législation a suivi le mouvement en réduisant les libertés pour les randonneurs telles que la possibilité de bivouaquer, qui n'est admise qu'à proximité des refuges, ces derniers étant présent en nombre dans la Vanoise.
Cependant, la zone que nous nous apprêtons à visiter révèle toutes les ambiguïtés du Parc National de la Vanoise. Après avoir remonté la Vallée de la Maurienne jusqu'au village de Termignon, une route permet un accès au coeur du parc national avec l'établissement d'un parking - celui de Bellecombe - perché à 2300m d'altitude. Ainsi, l'été, en plus d'être situé sur des itinéraires très fréquentés comme la Via Alpina, le GR5 ou encore les Balcons de la Vanoise, des hordes de touristes en quête de grands espaces et d'air frais se déversent sur le plateau lacustre. La haute montagne s'offre ainsi au grand public, les refuges sont pleins, mais la nature, elle, perd en partie la protection que lui confère le Parc National.
Si, au contraire, vous souhaitez découvrir cet espace de manière plus sauvage et plus sportive, il suffit d'attendre les premières neiges. La route sera fermée et la foule des dimanches estivaux sera remplacée par les troupeaux de chamois paissant sur les pentes ensoleillées.
Vous l'aurez compris , les sauvages que nous sommes s'attèleront à arpenter la zone en période hivernale. Attirés non seulement par la tranquillité que cette saison confère au Parc National de la Vanoise mais également à la beauté du cadre montagnard. Parce que oui, si cette zone est si fréquentée, c'est bien parce que le panorama est l'un des plus beaux du département. On se situe au centre du Parc National de la Vanoise, aux pieds des géants du coin qui dépassent allègrement les 3000m d'altitude et on fait face aux langues glaciaires qui dégringolent de la calotte du massif. Bref, le paysage de haute montagne à l'état pur. Mais de notre côté, les contrastes seront moins prégnants. La neige, bien qu'en faible quantité en cet hiver 2023, recouvre ces pentes. Ainsi alpages, pierriers, glaciers, lacs revêtent tous la même parure : celui du blanc immaculé de l'hiver alpin.
Pour accroître davantage le panorama, on se prépare à gravir un petit sommet du coin : la Pointe de Lanserlia. Son altitude tout de même significative - 2909m - ne rivalisant malheureusement pour elle en rien avec celle de ses immenses voisins. C'est au départ du Pont du Châtelard, quasiment au niveau de la Vallée de la Maurienne, que nous nous apprêtons à démarrer notre ascension.
Au niveau du Parking de Bellecombe, les choses sérieuses commencent. Jusque-là une belle trace nous aidait à progresser dans la neige. Pour la suite, c'est à nous de tracer notre voie et c'est une tout autre affaire. L'effort est décuplé mais contrebalancé par la jouissance de fouler ce terrain vierge.
Depuis le parking, il nous faut atteindre le vallon du Piou, du nom du ruisseau qui y coule le restant de l'année. Dans un premier temps, on évolue dans un terrain vallonné, puis un bref passage en balcons - et donc en dévers - mettra à l'épreuve nos chevilles. La température est exceptionnellement douce à plus de 2000m d'altitude, la neige commence sa transformation printanière quelques semaines en avance.
Au niveau du lieu-dit Les Arcelles sur les cartes IGN, la situation se complique. L'absence de trace et la qualité de la neige rendent compliquée l'ascension vers la Pointe de Lanserlia. Une alternative, plutôt radicale, est prise : fini le dévers, on monte tout droit !
On avale tant bien que mal les mètres de dénivelés positifs. Les nombreuses pauses permettent de profiter du paysage qui s'étend au fur et à mesure. Cette fois-ci, ce sont les géants d'un autre parc national qui apparaissent : le Pelvoux, le Pic Sans Nom, la Montagne des Agneaux, le Pic Coolidge et la Barre des Ecrins. Même le Mont Thabor tente de s'incruster dans le panorama, sur la droite, avant de buter contre les pentes de la Dent Parrachée.
Un peu après 16h, le cairn sommital de la Pointe de Lanserlia est atteint. Sa position centrale dans le Massif de la Vanoise offre un panorama unique sur les sommets du coin : du Mont Pelve tout à gauche au Grand Roc Noir tout à droite en passant par la Pointe de la Réchasse, la Pointe Matthew, la Grande Casse, les Pointes de Pierre Brune, la Grande Motte, la Pointe de la Sana ou encore la Pointe du Vallonnet.
Quelques skieurs ont slalomé dans la face Ouest de la Pointe de Lanserlia, de quoi nous convaincre de dévaler ces pentes en toute sécurité pour rejoindre plus directement le Refuge du Plan du Lac, 600m plus en contrebas. Depuis le sommet, il faut cependant faire attention à ne pas se retrouver au milieu des quelques barres rocheuses qui cisaillent cette face, notamment en s'approchant du flan Nord.
On laisse l'heure bleue envahir les Alpes pour partir s'abriter dans le local d'hiver du Refuge du Plan du Lac. Par chance, personne n'a pris possession des lieux auparavant et une grosse bassine d'eau de fonte nous attend. La salle principale est assez restreinte et est composée : de trois bancs, d'une table, d'une étagère où est entreposée de la vaisselle, d'une plaque à gaz et d'un poêle à bois. Le stock de bois, situé à l'entrée du refuge, est assez conséquent et permet de ne pas trop se soucier de notre consommation. Au niveau des chambres, une vingtaine de lits sont mis à la disposition des randonneurs et skieurs de passage.
La frontale n'est pas nécessaire pour manger, des panneaux solaires présents sur le versant Sud du refuge fournissent la lumière, et ce même en hiver ! On déguste nos plats lyophilisés, on se réchauffe quelques instants puis on part se faufiler sous de multiples couettes pour passer la nuit au milieu des montagnes savoyardes.
Pour la seconde journée dans le Parc National de la Vanoise, nous étions censés effectuer une traversée sous le versant Est des glaciers de la Vanoise en arpentant le GR55 reliant le Refuge d'Entre deux Eaux et celui de l'Arpont. Mais depuis le sommet de la veille, nous avons pu appréhender le terrain qui nous attendait et une chose nous a convaincu de ne pas tenter ce trajet : l'absence totale de traces, que ce soit de skis ou de raquettes. Quelques passages abrupts, notamment celui avant le Refuge de l'Arpont ne nous semblaient pas praticables en raquettes surtout au vu de la transformation du manteau neigeux.
On réduit donc nos ambitions et on se prépare à une autre traversée : celle du plateau sur lequel nous nous trouvons mais sur son extrémité Ouest cette fois-ci. Nous relierons ainsi le Refuge du Plan du Lac à celui du Lac Blanc.
Les uns après les autres et en seulement quelques minutes, on profite de l'illumination des différents sommets du Massif de la Vanoise.
Après ce bref spectacle on rentre de nouveau dans notre antre pour le petit déjeuner. On patiente quelques minutes, le temps que le soleil frappe le plateau puis l'on s'élance pour notre traversée.
Rapidement, on passe de l'ombre à la lumière. Aucune trace ne nous indique le chemin. C'est à vue que nous nous dirigeons vers l'extrémité Ouest du plateau. Prochain objectif : le Lac aux Limnés. Comme coincés dans un labyrinthe blanc, on contourne les quelques bosses du plateau pour essayer de prendre le trajet à la fois le plus direct mais également le plus simple.
Sur la première partie de la traversée, on se surélève de quelques dizaines de mètres en gravissant quelques collines tout en restant grosso modo à une altitude de 2400m.
Au premier abord, on penserait traverser des espaces vierges de toute vie. Et pourtant, si les traces de nos semblables sont inexistantes et si la zone parait hostile à toute forme de vie l'hiver, en y regardant de plus près, on s'aperçoit que nous ne sommes pas si seuls. Les êtres invisibles du plateaux nous ont précédé, nous distancent et peut être même nous regardent en ce moment même. Chamois, lièvres variables, lagopèdes, mulots, eux aussi se faufilent dans ce labyrinthe de glace. C'est chez eux. Il ne faut d'ailleurs pas hésiter à suivre les traces des chamois. Ils ont une compétence particulière pour progresser sur le matelas neigeux où ils ne s'enfoncent pas.
Sur les faces Sud, on s'attendait à croiser le chemin de quelques chamois. Quelle fut notre surprise quand nous en avons vu détaler de tous les côtés au fur et à mesure de notre descente. Aujourd'hui, les chamois sont l'espèce de caprinés la plus répandue dans le Parc National de la Vanoise. On en dénombre plus de 6000 contre un peu plus de 2000 spécimens pour les bouquetins. Le parc national est un havre de paix pour de nombreuses espèces. Alors que la population de bouquetins a repris des couleurs depuis la création du parc, le massif a vu revenir les gypaètes barbus ou encore le loup. Cependant, une espèce n'a pas survécu, et ce, bien avant la création du parc, il s'agit de l'ours brun dont le dernier individu du massif a disparu dans les années 1930.
C'est une trentaine de chamois que nous croiserons non loin du sentier. Ils marqueront le bouquet final de cette traversée dans le coeur du Parc de la Vanoise.
La neige commence à manquer. On déchausse nos raquettes quelques centaines de mètres avant de retrouver le sentier de la veille. Le soleil tape sévèrement en montagne, le sous-bois sera le bienvenu en cette mi-journée.
Une fois en bas, la neige a quasiment disparu. On regarde une dernière fois vers les hauteurs. Et l'on s'aperçoit que finalement, la Pointe de Lanserlia trônait déjà dans le paysage dès le départ.
Même après plusieurs semaines sans aucune chute de neige, on se rend compte que ce lieu n'est pas si couru en cette saison. L'absence de nombreuses traces de marcheurs comme de skieurs en témoigne. On ne peut que davantage apprécier le caractère sauvage de cette porte d'entrée dans le Parc National de la Vanoise.
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ITINÉRAIRE DE LA RANDONNÉE :