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Bibliothécaires d’Angers : acteurs dans le goût de la littérature jeunesse ? un scrollitelling réalisé par Rachel Fauquembergue et Camille Guérin

INITIER

"Nous n’avons aucune visée pédagogique. Nous voulons que les enfants prennent plaisir à la lecture sans y voir une contrainte ” - Sophie Massé, bibliothécaire responsable de la section jeunesse à la Roseraie (Angers)

Ce mercredi matin, Sophie Massé anime une "heure du conte" pour les enfants de 0 à 5 ans à la bibliothèque municipale du quartier de la Roseraie, à Angers. Aujourd'hui, les histoires portent toutes sur un même animal : la souris. Accompagnées de Souricette, la mascotte de la bibliothèque, et de nombreux accessoires, Sophie et sa collègue Charlotte D'Arlhac captivent enfants et accompagnateurs.

Souricette possède sa carte A'tout ! Sophie Massé présente cette carte afin d’encourager les enfants à en réclamer une à leurs parents, pour faire comme leurs amis en peluche.

À la fin de l’animation, Sophie autorise les enfants à manipuler les objets. "Je veux jouer avec la maison de Mimi la souris !” lance timidement une fillette de trois ans. “Moi je veux Souricette!” réclame un petit garçon.

“Souricette est toujours là ! s’amuse Sophie. Des enfants reviennent nous la demander des années après ! ”

La bibliothécaire profite de ce moment pour discuter avec les accompagnateurs. Ce sont des employés de crèches, des assistants maternels ou des grands-parents et ils planifient soigneusement ces rendez-vous mensuels. Le samedi, les séances sont davantage fréquentées par les familles : les bibliothécaires accueillent parfois - parents et enfants compris - une trentaine de visiteurs.

Les participants aux heures du conte sont principalement des lecteurs qui fréquentent la bibliothèque depuis longtemps. Certains amènent leurs enfants bien avant que ces derniers n'entrent à l'école. Une sensibilisation précoce à la lecture qui, selon une étude Ipsos pour le Centre National du Livre (les Français et la lecture en 2021), augmente les chances que les enfants deviennent de grands lecteurs (plus de 20 livres par an).

Espace jeunesse de la bibliothèque de la Roseraie

DÉcouvrir

"Il est plaisant de constater que beaucoup d’enfants du quartier, que nous connaissons depuis la maternelle, ont évolué à la bibliothèque dans leur parcours de lecteur. " – Stéphanie Logéat, bibliothécaire jeunesse et responsable de la structure Annie-Fratellini à Angers

Le mardi, la bibliothèque-ludothèque Annie-Fratellini, implantée dans le quartier Deux-Croix Banchais, à Angers, n’ouvre ses portes au public qu’à 15h. Mais le matin, à partir de 9h30, Stéphanie Logéat accueille plusieurs classes allant de la Petite à la Grande Section de maternelle (PS/MS/GS). Ce matin, il s’agit de deux classes de GS de l’école maternelle Marie Talet.

Chaque séance dure environ 45 minutes.

Deux bibliothécaires invitent les enfants dans une salle dédiée pour leur lire des albums. Chaque histoire est accompagnée d'accessoires et parfois ponctuée de chansons ou de comptines.

Dans l’album Le creux de ma main, réalisé par Laëtitia Bourget et Alice Gravier, il est question de différents objets et éléments recueillis par un enfant. A la fin de la lecture, les bibliothécaires demandent alors aux enfants ce qu’ils mettent, eux, dans leurs poches. Les réponses fusent : “des cailloux !”“ des bonbons !”, “des coquillages !”

A la fin de l’animation, les enfants sont libres de vagabonder dans la section jeunesse de la bibliothèque.

“Maîtresse, tu peux me lire ce livre ? ” demande Alya, tout sourire.

Tout comme les autres enfants disséminés dans l’espace et assis dans de petits fauteuils ou sur les tapis colorés, elles s’installent confortablement et découvrent ensemble l’album.

J’ai déjà lu ce livre à la maison, il est trop bien !” s’enthousiasme Gabin. “Je vais l’emmener à l’école”, décide alors son ami Oscar.

À Angers, les neuf bibliothèques du territoire s’organisent en réseau et chacune entretient une relation forte avec les écoles voisines.

"Il est important que mes élèves aient ce contact avec les livres. Ils n’appréhendent jamais un livre comme nous l'attendons, mais nous les aidons justement à apprivoiser cet objet, à enrichir leur imaginaire et à développer leur goût de la lecture, qui va se construire au fil des années." - Sophie Laval, professeure des écoles d'une classe de PS/MS à l’école Claude-Monet (quartier de la Roseraie)

Ces accueils de classes sont d’autant plus importants qu’un article titré La lecture s’effondre chez les adolescents est récemment paru. En effet, les 7-25 ans lisent moins au profit des écrans d’après les derniers chiffres de l’Ipsos pour le Centre National du Livre (Le Monde, 23 mars 2022).

Avant le départ de la classe, Stéphanie Logéat et ses collègues distribuent un papier à chaque enfant. Celui-ci atteste qu’ils sont venus à la bibliothèque et présente les modalités d’inscription. L’abonnement est gratuit pour les moins de 26 ans et valable dans toutes les bibliothèques du réseau. Cela incite les parents à venir avec leurs enfants.

Les institutrices renchérissent : les bibliothécaires possèdent “une grande qualité d’intervention. Elles proposent des histoires et des ateliers captivants", se réjouit Sophie Laval. Et "les enfants aiment venir" ajoute Audrey Manus, professeur des écoles d’une classe de GS à l'école Jean-Jacques Rousseau .

Espace jeunesse à la bibliothèque Annie-Fratellini

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La suite est l’affaire des parents, dont le rôle est déterminant dans la pratique de la lecture. Et c’est souvent là que le bât blesse :

Waya Stacy, mère de Jailan en PS/MS à l’école Claude Monet assure “avoir apprécié cette séance découverte”, mais n’a pas souscrit d’abonnement par manque de temps : “Mes horaires de travail sont contraignants et je m’occupe des enfants ", explique-t-elle.

“Après la naissance de ma fille, je n’avais pas le temps de me déplacer pour m’inscrire”, renchérit Shayma Atman, la mère de Jenine, élève de 3 ans dans cette même classe

"On encourage les parents à venir en tant qu’accompagnateurs lors des accueils de classe. Pour certains, c’est la première fois qu’ils entrent dans une bibliothèque" - Sophie Massé

Le jeudi suivant, toutes les bibliothécaires du réseau jeunesse se retrouvent à la médiathèque Toussaint pour une réunion hebdomadaire au sujet des prochains achats à effectuer.

“J’ai lu ce petit album cartonné intitulé “Le plus grand toboggan du monde”. C’est l’histoire d’un petit garçon qui va au parc avec son papa. Il a l’habitude d’aller sur le petit toboggan rouge mais son papa lui affirme qu’il est maintenant assez grand pour aller sur le grand toboggan gris…” commence Anne Boudaud, bibliothécaire jeunesse et responsable du secteur jeunesse de la médiathèque Toussaint, “Je n’ai pas beaucoup d’albums sur ce sujet donc je vais le prendre pour la médiathèque Toussaint. Vous en pensez quoi ?”  “Ça m’intéresse aussi !”, s’exclame Sophie

“Chaque bibliothèque choisit ce qu’elle veut acheter pour son fonds. Ensuite tous les documents sont réceptionnés et traités à la médiathèque Toussaint avant d’être redistribués dans les quartiers.” - Anne Boudaud

Stéphanie Logéat, Sophie Massé et Anne Boudaud profitent aussi de ce moment pour échanger à propos de leurs animations des jours précédents. L’identité et la force du réseau des bibliothèques d’Angers reposent sur le fait que les membres peuvent s’échanger les idées, les livres, les accessoires et les décors. “Par contre, faites attention quand vous prêtez des accessoires à Stéphanie ! plaisante Sophie. La dernière fois, je lui ai donné une souris blanche, et elle m’a renvoyée une souris brune !”

Ces professionnelles cherchent à "désacraliser" les bibliothèques, encore considérées - à tort - comme des lieux silencieux réservés à des personnes cultivées.

“Nous voulons accueillir tous les publics, et essayer de faire venir ceux qui ont du mal à passer la porte de la bibliothèque. Cela passe par le conseil, la médiation autour d’un roman ou encore d’un coup de cœur. ”Stéphanie Logéat

La médiathèque Toussaint est fréquentée par des publics variés vivant en centre-ville ou non ; des adolescents seuls, des familles, ou des professionnels (enseignants, animateurs, professionnels de la petite enfance, chercheurs, etc). Les bibliothèques Roseraie ou Annie-Fratellini, quant à elles, se distinguent par l'accueil de publics aux nationalités, langues et cultures diverses.

Afin que tous s’y sentent bien, les bibliothécaires jeunesse transforment ces lieux en refuges culturels, confortables, colorés et immersifs.

Décor sur le thème d'Alice au Pays des Merveilles (jusqu'au 22/02/2022) - Médiathèque Toussaint
Décor sur le thème d'Alice au Pays des Merveilles (jusqu'au 22/02/2022) - Médiathèque Toussaint
La cabane - Médiathèque Toussaint
Des portes livres originaux - bibliothèque de la Roseraie

Par ailleurs, des albums traduits dans plusieurs langues sont disponibles à la Roseraie. Quand Sophie Massé accueille des classes pour la première fois, elle lance une chanson de bienvenue dans différentes langues.

Un "arbre des mots" a été érigé dans la salle du conte (Roseraie). Il contient le mot "bonjour" dans la langue maternelle de l'enfant.
Espace jeunesse à la médiathèque Toussaint

Associer

Pour favoriser la pratique de la lecture chez les jeunes enfants, les bibliothécaires savent qu'elles doivent atteindre les foyers. C'est ainsi que le prix Tatoulu est né en 2009, grâce à un partenariat entre la médiathèque Toussaint et les écoles maternelles Cussonneau et Parcheminerie. Les années suivantes, le prix s'est généralisé à l'ensemble des bibliothèques du réseau.

"C’est un projet avec trois acteurs : les enseignants, les parents et les bibliothécaires" - Sophie Massé

Pendant trois ans, les bibliothèques participantes s’associent à une ou deux écoles maternelles de leur quartier. Au début, les bibliothécaires sélectionnent une vingtaine de livres parus moins de 18 mois auparavant, puis les professeurs et des parents viennent à la bibliothèque pour réduire la liste à 5 livres. « Le choix était difficile car ils étaient tous intéressants ! » reconnaît Sihem Lazrak, mère de Nourane (5 ans, GS)

Cette année, la Roseraie s'est associée aux écoles maternelles Jean-Jacques Rousseau et Marcel Pagnol.

Sophie et ses collègues ont accueilli chaque classe plusieurs fois pour leur présenter la sélection. Leurs mises en scène donnent des pistes aux enseignants pour exploiter les livres en classe.

« C'est une belle opportunité pour faire découvrir la littérature jeunesse aux enfants, mais aussi pour intégrer les parents par le jeu », explique Audrey Manus, professeure des écoles en GS à Jean-Jacques Rousseau.

Après avoir découvert les albums, s'être amusé à quelques jeux de société à la bibliothèque, puis avoir réalisé des ateliers en classe, chaque enfant emmène les cinq livres chez lui pour quelques jours. Certains parents ne savent pas lire le français ou manquent de vocabulaire, ce sont alors les grands frères et sœurs qui prennent le relais.

"Il est possible que le prix Tatoulu ait un impact plus fort qu’un accueil de classe." - Stéphanie Logéat

En mai, la classe et les parents d'élèves sont conviés à la bibliothèque. Les enfants y accomplissent leur premier geste citoyen en votant pour leur livre préféré et développent leur sens critique en justifiant leur choix. Ils apprennent aussi à ne pas être influencés par le vote de leurs parents ou de leurs camarades de classe.

Le prix Tatoulu marque sur le long terme. Les années suivantes, de nombreux enfants - entrés en primaire ou toujours en maternelle - reviennent lire la sélection d'albums qu’ils ont étudiés. La médiathèque Toussaint possède même un bac identifié "livres Tatoulu".

Pourtant, malgré toutes ces initiatives, certaines familles restent éloignées des bibliothèques et de la littérature jeunesse à Angers. Dans ce cas, les bibliothécaires tentent de venir directement à eux, via des actions “hors les murs”, comme l’opération “Pied de Bat’” initiée par la bibliothèque de la Roseraie. Organisée en collaboration avec les services municipaux, les maisons de quartier et d’autres partenaires spécifiques, “Pied de Bât” a lieu chaque été. Les bibliothécaires jeunesse montent un barnum, sortent des tapis, des coussins, des livres et des jeux un après-midi, et accueillent les passants. Ceux-ci affirment parfois “ne pas aimer les livres”. Le défi consiste alors à leur montrer la diversité de la littérature jeunesse, parfois par le jeu, pour inverser cette tendance. Ce lien entre livre et jeu est visible directement dans certaines structures qui accueillent des ludothèques en leur sein. C’est le cas des bibliothèques de Belle-Beille et Annie-Fratellini. Dans cette même mouvance, la médiathèque Toussaint intégrera un espace ludothèque en 2026 après des travaux de réaménagement.

Rachel Fauquembergue & Camille Guérin

sources

  • Rapport d’étude INJEP : Jeunes, bibliothèques, numérique et territoire : vers de nouvelles interactions (étude de 2017 publiée en 2018)
  • CNL (Centre National du Livre) - Les Français et la lecture - Résultats du mois de mars 2021
  • Le Monde, La lecture s’effondre chez les adolescents, 23 mars 2022
Created By
Rachel Fauquembergue
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Credits:

Rachel Fauquembergue Camille Guérin