À l’occasion du premier anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, La Dépêche a réalisé une série sur la résistance et la résilience des villes du pays face à l’invasion russe. Cinq villes, cinq histoires, cinq symboles : Kiev, Marioupol, Kherson, Bahkmout et Kharkiv.
Kiev reste le fer de lance de la résistance
Lorsque le 24 février 2022, les chars russes franchissent la frontière russo-ukrainienne dans le cadre d’une « opération militaire spéciale», Vladimir Poutine a un objectif clair : « dénazifier » son voisin, renverser le jeune président Volodymyr Zelensky, un comédien élu chef de l’État le 20 mai 2019, et le remplacer par un gouvernement fantoche à sa botte. Cette opération ne serait que l’affaire de quelques jours, pense le maître du Kremlin, tant les forces militaires des deux parties sont déséquilibrées très nettement en faveur de la Russie.
Mais ce que Poutine ne sait pas c’est que depuis les manifestations du Maïdan, puis l’annexion de la Crimée en 2014, le peuple ukrainien s’est forgé une identité à partir de laquelle vont se construire une résistance et une résilience incroyables face à l’attaque russe.
Dès le matin de l’invasion, les Russes veulent s’emparer de la capitale de 2,8 millions d’habitants, distante de quelque 100 km de la frontière russe. Mais rien ne se passe comme prévu et si les Russes s’installent dans les faubourgs de la ville et s’emparent de l’aéroport, ils font face à des sabotages nombreux qui détruisent des ponts. Tandis que la ville se barricade, installe des sacs de sable devant les bâtiments et mobilise réservistes et volontaires, les Russes sont empêchés d’organiser un débarquement aérien. Dans la banlieue les combats font rage et de nombreuses victimes comme à Irpin.
Missiles de croisières et drones kamikazes
À Kiev, galvanisés par Zelensky qui a bunkérisé le palais présidentiel mais aussi par le maire-courage, l’ancien boxeur Vitali Klitschko, les habitants, très solidaires, se réfugient dans des caves, des abris datant de la Guerre froide et dans le métro au rythme des sirènes d’alerte. Parfois pour plusieurs jours. Car Kiev, sous couvre-feu, est ciblée par des missiles qui éventrent ses immeubles en dépit d’une défense anti-aérienne efficace.
Le 25 mars, face à la résistance ukrainienne, l’armée russe, qui souffre d’importants problèmes logistiques est forcée de se retirer des alentours de Kiev. La capitale recevra alors de nombreuses visites de chef d’État et de gouvernement qui soutiennent l’Ukraine. Mais si les gens vivent quasiment normalement, font leurs courses, vont au restaurant ou à leur travail, Kiev reste dans le viseur de Moscou et continue à être bombardée sporadiquement par des missiles de croisières et des drones kamikazes. Les habitants expriment parfois leur lassitude face à ces fréquents allers-retours qu’ils doivent effectuer entre les sous-sols et l’air libre, mais ils ne lâcheront rien.
À l’approche du premier anniversaire de l’invasion, Kiev craint d’être frappée par une nouvelle offensive russe imminente. Le maire de Kiev a affirmé lundi avoir besoin de « milliers » de générateurs « en plus », trois jours après une nouvelle attaque russe massive ayant visé des sites énergétiques en Ukraine. Selon Vitali Klitschko, Kiev est aujourd’hui « mieux préparée contre les attaques russes […] qu’il y a quelques mois », mais il se dit « toujours inquiet pour l’électricité et le chauffage ». Au-dessus de Kiev, « 10 missiles ont été abattus », a-t-il affirmé, indiquant qu’il n’y avait « pas de victimes », mais « des dégâts au réseau électrique ».
15000 bébés nés dans les abris
Le maire de Kiev reste en tout cas aux avant-postes de cette résistance ukrainienne qui suscite admiration et respect dans le monde entier et dont il est un des visages les plus connus. Interrogé cette semaine par France 2 sur son souvenir du 24 février 2022, il a expliqué le choc ressenti.
« Nous étions tout simplement en état de choc. Les Russes n’attaquaient pas uniquement par l’est de l’Ukraine, ils attaquaient de tous les côtés. Donc oui, un choc énorme », raconte le maire qui a immédiatement compris qu’il fallait résister. « On n’avait juste pas le choix. Il fallait qu’on résiste, et qu’on fasse tout notre possible pour aider nos militaires », explique-t-il, indiquant que « depuis le début de la guerre, les habitants de Kiev ont passé au total un mois dans les abris. 15 000 bébés sont venus au monde dans ces abris. »
Aujourd’hui, Vitali Klitschko, qui s’était rendu au forum de Davos pour collecter des fonds pour payer les armes, reste un chef de guerre et appelle à l’aide l’Occident. « Nous devons survivre. […] Le courage c’est important, mais ça n’est pas suffisant. Nous avons besoin d’armes. »
Philippe Rioux
Marioupol, la ville-martyre vit sous l’occupation russe qui efface ses crimes
De toutes les villes ukrainiennes qui ont été attaquées par les Russes, Marioupol est sans doute la plus emblématique. Cette ville portuaire et industrielle de l’oblast de Donetsk, qui fut rebaptisée par Staline « Jdanov » en 1948 et porta ce nom jusqu’en 1989, est apparue comme stratégique dès l’entame de l’invasion russe le 24 février 2022. Revendiquée par l’autoproclamée république populaire de Donetsk (RPD), cette cité de quelque 432 000 habitants a d’abord été assiégée par les troupes russes car sa position était capitale avec l’accès qu’elle donnait à la mer d’Azov.
Dès le 24 février, l’artillerie russe bombarde la ville et enfonce les défenses ukrainiennes qui résistent. L’encerclement de la ville commence, le siège de Marioupol s’installe. Dans la nuit du 4 au 5 mars, le maire, Vadym Boytchenko, qui dénonce des bombardements de logements civils, annonce que le port de Marioupol est sous « blocus » russe, tandis que la cité est privée d’électricité.
Maternité et théâtre bombardés
Deux faits majeurs vont alors se produire qui vont indigner le monde entier. D’abord le bombardement le 9 mars de la maternité de Marioupol et son hôpital pédiatrique qui abritaient, selon les Russes, des soldats ukrainiens, notamment ceux du régiment Azov. Les images de femmes enceintes évacuées sur des brancards au milieu des débris font le tour du monde. Le bombardement fait trois morts, dont une fillette, et 17 blessés.
Le second fait majeur sera quelques jours plus tard le bombardement du théâtre de Marioupol, le 16 mars, alors que les habitants tentent de fuir la ville toujours bombardée dans des couloirs humanitaires peu sûrs. Le théâtre, présenté par la municipalité comme le plus grand abri anti-aérien de la ville, servait de refuge aux Marioupolitains et aurait abrité de 500 à 1 200 civils dans les jours précédant l’attaque. Le bilan, difficile à établir, reste terrible avec entre 300 et 600 tués. L’attaque, qui bouleverse le monde entier, sera condamnée au conseil de sécurité de l’Onu.
Mais le siège de la ville, implacable, se poursuit. Des centaines de milliers de personnes n’ont ni nourriture, ni eau, ni chauffage, ni électricité, ni soins médicaux dans une situation humanitaire « de plus en plus grave et désespérée », selon la Croix-Rouge internationale. Tous les magasins et pharmacies sont pillés, les gens tombent malades à cause du froid et se battent entre eux pour de la nourriture, raconte le chef adjoint de la délégation de la Croix-Rouge, Sasha Volkov.
Le siège de l’usine Azovstal
Durant la seconde quinzaine de mars, les quartiers tombent aux mains des Russes tandis que les bombardements sont permanents, détruisant de plus en plus de bâtiments. En avril, la résistance se concentre sur le port de Marioupol et dans l’usine métallurgique d’Azovstal. Dans les sous-sols de cet immense complexe industriel, véritable ville dans la ville, les soldats ukrainiens résistent tandis que leurs frères d’armes livrent une bataille désespérée dans le port de Marioupol. « Aujourd’hui sera probablement l’ultime bataille car nos munitions s’épuisent. […] Ce sera la mort pour certains d’entre nous et la captivité pour les autres. Nous sommes en train de disparaître lentement » écrit le 11 avril la 36e brigade d’infanterie navale, après un mois de combats acharnés.
Le 16 avril 2022, l’usine métallurgique Azovstal, quasi rayée de la carte, devient l’ultime poche de résistance de l’armée ukrainienne face aux Russes. Si le 21 avril, Vladimir Poutine annonce la prise de contrôle de la ville, les combats continuent dans l’usine qui devient un symbole de la résistance ukrainienne. Mais face aux bombardements russes, les Ukrainiens perdent le contrôle de l’usine. Le 20 mai, les Russes ont le champ libre, ils contrôlent Marioupol. Mais une Marioupol en ruine, détruite à 90 %. Des images aériennes de la cité prises par drone sont si impressionnantes que certains les comparent à Alep en Syrie.
Considérée par Moscou comme une ville russe, Marioupol subit depuis une russification à marche forcée. La propagande du Kremlin vante son projet de développement du port et de la ville, prétend pouvoir la reconstruire en trois ans et paye des influenceurs qui assurent que la joie de vivre est revenue, certains montrent la reconstruction du théâtre. Mais les Russes cherchent plutôt à effacer leurs crimes de guerre et la prétendue reconstruction de la ville ne concerne en fait que quelques blocs d’immeubles. Comme un nouveau village Potemkine pour masquer la réalité d’une ville occupée et détruite. Une ville qui ne compte plus que 100 000 habitants. Ils étaient quatre fois plus au début du conflit.
Philippe Rioux
Sur le front sud, Kherson, libérée de l’occupant russe, subit des bombardements quotidiens
Toutes les guerres donnent lieu à des déchirements humains. Parfois ils s’incarnent littéralement physiquement comme à Kherson, cette ville stratégique sur le front sud. Fondée sur la rive droite du Dniepr par Catherine II en 1778, cette ville, dont l’activité était la transformation des produits agricoles, s’est industrialisée sous l’ère soviétique, notamment dans les chantiers navals ou l’industrie textile. Capitale de l’oblast éponyme, Kherson avait voté à plus de 90 % pour l’indépendance de l’Ukraine en 1990 et, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, elle est devenue la capitale du gouvernement en exil de la république autonome de Crimée.
Kherson va vivre dès le déclenchement de l’invasion russe des combats intenses. Les forces russes venues de Crimée s’emparent du pont routier d’Antonivka dès le 24 février 2022, le perdent le lendemain, le regagnent le surlendemain.
Les deux batailles de Kherson
Cette première bataille de Kherson se termine par la prise de la ville par les Russes le 2 mars. « Quand j’ai vu des tanks rouler dans ma rue, j’ai compris que c’était fait. Que notre ville était en train d’être envahie », se rappelle le journaliste Dmytro Bahnenkoqu a réalisé un film, « Occupied », sur l’occupation russe. Comme à Marioupol, les Russes s’emploient, en effet, à une russification expresse de la ville, imposant les programmes scolaires russes dans les écoles, délivrant des passeports russes et introduisant même le rouble.
La Russie vise toutefois d’autres objectifs qu’occuper Kherson : conquérir Mykolaïv, dernier verrou vers Odessa. Un projet contrecarré par la résistance ukrainienne. En avril, le face-à-face se concentre dès lors autour de Kherson.
En juillet, les autorités ukrainiennes demandent aux populations de Kherson et Zaporijia d’évacuer leurs maisons ou de construire des abris en vue d’une contre-offensive ukrainienne pour reprendre les territoires occupés. Fin juillet, les Ukrainiens reprennent des villages. Le 29 août, la contre-offensive est officiellement lancée par Volodymyr Zelensky. Commence alors la seconde bataille de Kherson.
Les Russes se replient et volent 10 000 œuvres d’art
Alors que la Russie organise en septembre des référendums sur l’annexion des quatre régions du sud – Louhansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson – dont les votes favorables au rattachement à la Russie, de l’ordre de 87 % à 99 %, sont rejetés par la communauté internationale – l’offensive-éclair ukrainienne est spectaculaire et fructueuse.
Le 9 novembre, le ministre russe de la Défense en personne, Sergueï Choïgou, ordonne le retrait des forces russes de la rive droite Dniepr et de la région de Kherson. Plus de 10 000 œuvres du musée de la ville sont volées par les Russes lors de leur départ. Le 11 novembre, la ville est libérée par l’armée ukrainienne après 254 jours d’occupation.
Trois jours plus tard, Voolodymyr Zelensky se rend sur place et accuse les forces russes d’avoir commis des « atrocités » à Kherson, alors que Moscou continue à dire que la ville est Russe. « Avant l’hiver, les occupants russes ont détruit absolument toutes les infrastructures critiques. Absolument toutes les installations importantes de la ville et de la région sont minées », accuse Zelensky.
Le calvaire de la cité est en tout cas loin d’être terminé. Les Russes vont continuer à bombarder Kherson, à pilonner sans relâche la capitale régionale. Fin novembre, alors que l’électricité est revenue pour la première fois depuis la libération – pour 17 % des foyers – , des centaines d’Ukrainiens préfèrent fuir la ville. « De nombreuses personnes sont en train d’évacuer pour se réfugier dans des régions plus calmes du pays. Mais de nombreux habitants restent chez eux, et nous devons leur assurer le maximum de sécurité possible », assure alors le chef de la police nationale, Ihor Klymenko.
Bombardements incessants
Depuis, les bombardements russes n’ont jamais cessé. « Chaque jour, Kherson est bombardée au minimum vingt fois. Ils tirent le plus souvent au mortier de 80 et 120 mm, mais ils utilisent aussi des roquettes. Ils visent nos positions, mais ils tirent également sur des bâtiments civils, des magasins, des écoles, des hôpitaux », raconte à RFI Oleksandr Fedunin, porte-parole de la 124e brigade de la défense territoriale.
Hier encore, des frappes russes sur Kherson ont tué au moins cinq civils et fait 16 blessés. « L’armée russe tire massivement sur Kherson. Une fois de plus, elle tue sans pitié la population civile », a commenté Zelensky.
80 ans après la bataille du Dniepr, qui fut l’une des plus sanglantes de la Seconde Guerre mondiale, le fleuve est aujourd’hui à nouveau une ligne de front.
Philippe Rioux
Forteresse ukrainienne sous les bombes, Bakhmout, un nouveau Verdun
Chaque guerre reste marquée par une bataille exceptionnelle, une ville où les combats ont été si intenses, si meurtriers qu’elle restera dans les mémoires des générations futures. Il y eut Verdun pour la Première Guerre mondiale, Stalingrad pour la Seconde Guerre mondiale, Bakhmout sera sans doute celle de la guerre en Ukraine dont on ne voit hélas pas encore la fin. Cette ville de 71 000 habitants dans l’Oblast de Donetsk est, en effet, le théâtre d’affrontements d’une violence inouïe entre Ukrainiens et Russes qui s’en disputent le contrôle.
Déjà en 2014, au moment de l’annexion de la Crimée par la Russie, d’importants combats avaient eu lieu, la cité étant prise par les séparatistes de la République populaire de Donetsk, puis reprise par l’armée ukrainienne.
Huit ans après, cette ville qui fut fortifiée au XVIe siècle pour contrecarrer les attaques des Tatars de Crimée puis fut celle de la plus importante mine de sel de l’empire russe au XIXe siècle, se retrouve plongée dans l’enfer de combats qui vont rapidement évoquer Verdun, ses tranchées, sa boue, son froid et sa violence.
Les cadavres de soldats s’entassent dans les tranchées boueuses
Située près de la ligne de front entre l’Ukraine et le Donbass, Bakhmout est régulièrement bombardée dès le début de l’invasion de l’Ukraine le24 février 2022. Puis de façon plus intensive à partir du mois d’octobre où elle illustre un changement de paradigme dans la guerre : on passe d’une guerre de mouvement à une guerre de position. Surtout, un acteur nouveau intervient entre les Russes et les Ukrainiens : la milice russe Wagner.
Fin novembre, Moscou revendique la conquête de villages près de Bakhmout, cette ville qu’elle tente à tout prix de conquérir sans y parvenir. Non pas parce que Bakhmout représente un intérêt stratégique particulier, mais parce que la Russie veut obtenir une victoire pour laver l’affront d’une série d’humiliantes défaites encaissées par l’armée russe avec les retraites de Kharkiv (nord-est) en septembre et Kherson (sud) en novembre. Les offensives meurtrières se multiplient ainsi pour quelques kilomètres à peine…
Depuis décembre, le front le plus actif de la guerre en Ukraine
Si les Russes et Wagner peinent autant c’est parce que les lignes sont fortifiées depuis 2015. « Chaque avancée est coûteuse et peine à s’inscrire dans la durée car elle consomme des moyens et des soldats. Ce qui explique que le front se fige, puis se réchauffe. Pendant la Première Guerre mondiale, cette période avait été surmontée grâce au couple avion/char. Mais ici, les drones et l’artillerie compliquent une offensive blindée », décryptait dans Le Figaro Thibault Fouillet, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS).
En décembre les combats de Bakhmout deviennent le front le plus actif de la guerre en Ukraine. Les bombardements sont incessants, les cadavres de soldats s’entassent dans les trachées boueuses. Chaque camp a conscience de vivre une véritable « boucherie », certains s’interrogent sur le sens de ce carnage.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky se rend, avant Noël, à Bakhmout alors que des rumeurs d’avancées des deux côtés circulaient, laissant imaginer la fin de cette bataille dantesque. Accompagné de la ministre de la Défense adjointe, Anna Malyar, Zelensky remet des médailles à des soldats. La bataille continue.
« Les combats sont très violents, c’est un vrai massacre », témoigne Arsene Sabanieev, un médecin anesthésiste-réanimateur franco-ukrainien.
Début janvier, Zelensky promet de fournir « tout le nécessaire » aux soldats qui résistent aux assauts russes à Bakhmout et à Soledar, située à 15 kilomètres au nord-est. Le 15 février dernier le président ukrainien assure que ses soldats tiennent « fermement » leurs positions à Bakhmout, où la situation est « la plus difficile » face aux troupes russes.
La colère du patron de Wagner
Mais ces dernières subissent aussi une guerre interne entre l’état-major de l’armée russe et Evgueni Prigojine, le patron de Wagner, chacun revendiquant la prise de villages aux alentours de Bakhmout. Ce denier a lancé hier un appel inédit en exhortant les Russes à faire pression sur l’armée pour qu’elle fournisse des munitions à ses hommes. L’objectif est de laisser Wagner se faire « détruire » sur le champ de bataille, dénonce Prigojine, qui avait aussi affirmé que son groupe subissait « des centaines de pertes » chaque jour à cause du manque de munitions.
Derrière ces combats, la ville massivement détruite continue à tenir. « En un mot, c’est un véritable enfer. Il n’y a pas d’eau courante, pas d’électricité. Pour pouvoir me laver, je fais fondre de la neige » racontait à France info Vera, une habitante de 75 ans.
Malgré le danger et la peur, ils sont quelque 6 000 à vouloir rester, survivre sous les bombes pour, un jour, pouvoir revivre.
Philippe Rioux
Kharkiv, sous la menace constante des missiles et d'une nouvelle attaque russe
Valentina Denysenko, 46ans, n’a pas quitté Kharkiv. Avec sa sœur Tatiana, 40ans, et leurs familles, elles s’y sont réfugiées en 2014. Les deux sœurs vivaient dans le Donbass, " district de Donetsk ", capitale des sécessionnistes russes, jusqu’au jour où une bombe est tombée près de la maison. Début février 2022, elles nous confiaient alors leur « peur que la guerre revienne jusqu’à [elles] » (1). Le 24, les missiles ont frappé, partout. Et… Notamment l’aéroport de Kharkiv, derrière la location où elles se sont reconverties dans le maraîchage. Mais elles ont refusé de fuir à nouveau…
" Un génocide pur et simple"
Porter des repas aux soldats, des vêtements chauds à ceux qui ont tout perdu, " une mère et neuf enfants ce mercredi " :leur quotidien, depuis. Résister : l’âme de Kharkiv, de ses habitants et de ses " déplacés " depuis un an. Jugé " pro russe " par certains tandis qu’il semblait avoir minimisé le risque d’attaque du pays et de sa région – où nombre de familles sont russo-ukrainiennes- le maire Igor Terekhov, a ainsi dénoncé sans ambiguïté " un génocide pur et simple qui vise le peuple ukrainien et la ville de Kharkiv ". Et il a fait face, avec tous.
Car dès le début, l’armée russe, toute à sa volonté d’endosser l’image du « libérateur » pour son opinion publique, face à la prétendue « Ukraine nazie » de Volodymyr Zelensky inventée par l’ancien KGBiste Vladimir Poutine, a martelé Kharkiv déjà martyrisée durant la dernière guerre mondiale et affamée par l’occupant avec 80000morts à la clé… Et elle a remis en œuvre sa stratégie " urbicide " – déjà éprouvée à Grozny, Alep ou au Donbass- visant à détruire plus que des bâtiments publics, des usines, des immeubles civils : l’humanité de tout « vivre ensemble ».
De "Kharkov" à "Kharkiv", un gouffre
Début février 2022, deux colonnes jaunes marquaient l’entrée de l’ancienne capitale économique de l’Ukraine, du temps de l’URSS. À 500km de Kiev, l’une disait " Kharkiv " en ukrainien, l’autre " Kharkov " en russe. Une lettre de différence… Et un gouffre désormais entre les deux pays, à 41 km de la frontière russe.
" Poutine dit que la Russie, c’est là où on parle russe. C’est pourquoi on parle ukrainien, pour que la Russie reste chez elle. Ici, c’est l’Europe. Nous ne serons pas frères. Jamais ", témoignait alors Boris Redin devant la grande tente bleu et jaune installée au centre-ville sur laquelle se lisait " Tout pour la victoire ", car " cela fait déjà 8ans qu’on est en guerre ", rappelait-il devant les portraits des victimes du Donbass.
Destructions massives
À deux pas sous les flocons et malgré les regards dubitatifs ou les invectives de personnes âgées nostalgiques de l’URSS, Yuliya Razumenko fabriquait, elle, des filets de camouflage blancs. Les premiers missiles tombés sur la préfecture régionale trois semaines plus tard ont anéanti le site. Mais ils ont renforcé la volonté de combattre qu’il incarnait déjà.
Avant la guerre, Kharkiv comptait 1,5 million d’habitants. Début avril 2022, un tiers d’entre eux était parti, les familles avec enfants prioritairement. 70 écoles, 60 crèches, 15 hôpitaux et 1 300maisons individuelles avaient été détruits en cinq semaines et bien sûr les installations électriques tandis que parkings souterrains et arrêts de bus se transformaient en abri. Mais beaucoup d’hommes en âge de se battre s’étaient aussi engagés pour défendre leur ville les armes à la main…
L’Armée russe a reculé, sans cesser de tirer à distance. Et Kharkiv a mis un point d’honneur à réparer et reconstruire. " Je suis revenue avec mes enfants et mon mari en mai. Là est notre maison, le travail. Au cours de cette année, je me suis rendu compte qu’on peut vivre malgré la guerre. C’est effrayant les explosions et les secousses d’une frappe de missile comme récemment sur une école proche : toute la maison a tremblé. Mais le matin venu, la peur passe et on continue à vivre. Même détruite et à pleurer, la ville est tenue propre, les vitres cassées vite changées ", témoigne Julia dont les enfants jouaient début février 2022 sur un vieux char soviétique, place de la Constitution. " Ils n’y sont jamais retournés ".
Quatre missiles S300 ce mercredi...
Car au centre comme ailleurs, la menace reste constante. Frappes pour terroriser la population mais qui ne font que renforcer sa résistance…" La banlieue nord est dévastée. Mercredi, à 10 h 30, quatre missiles S300 ont encore été tirés faisant deux blessés, nos soldats ont repoussé deux groupes d’éclaireurs russes et les démineurs ont retiré 137explosifs " liste Valentina.
À quoi pensera-t-elle ce 24février ? " Le 24, ça ne changera rien. Ici, on vit le 24 février tous les jours. Mais on attend la victoire. L’Ukraine sera libre, plus belle qu’avant, on reconstruira toutes nos villes et notre avenir sera en Europe mais la Russie, elle, sera divisée ", veut-elle croire à " Kharkiv ". " Un jour, cela finira et nous rétablirons la paix entre les peuples ", espère Julia qui, elle, écrit " Kharkov "…
Pierre Challier