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Industrie Un secteur en pleine mutation

Confrontée aux défis des transitions numérique, écologique et énergétique, l’industrie est en pleine mutation. Quelles opportunités se dessinent pour ce secteur et sur quelles innovations peut-il compter ? À quelles difficultés devra-t-il faire face et à quels besoins devra-t-il répondre ? Décryptage avec trois experts et expertes de Nantes Université.

SOMMAIRE

  1. Nordine LEKLOU - Produire et construire autrement : un secteur en pleine mutation
  2. Catherine DA CUNHA - Le numérique au cœur de la compétitivité et de la résilience du secteur industriel
  3. Jérôme BELLETTRE - Plus sobre et moins carbonée : le défi de la transformation écoénergétique de l’industrie
  4. L'industrie du futur, un enjeu de Nantes Université
Nordine LEKLOU, Catherine DA CUNHA (© Fabrice RAULT) et Jérôme BELLETTRE

Produire et construire autrement : un secteur en pleine mutation

Entretien avec Nordine LEKLOU, professeur à Nantes Université, chercheur en génie civil à l’Institut de Génie Civil et Mécanique (GeM) et directeur adjoint de l'IUT de Saint-Nazaire. Ses activités de recherche portent sur la durabilité des matériaux et les éco-matériaux pour la construction, ainsi que de l’impression 3D pour la construction.

Une industrie plus durable est-elle envisageable et sur quelles innovations peut-elle compter ?

L’industrie est en pleine transformation pour s’engager dans une voie privilégiant la durabilité. Ce mouvement, engagé depuis une décennie, s’accélère en raison de la raréfaction ou du renchérissement des ressources (matières première, énergie, etc.) auquel le secteur fait face plus récemment. Trois grands secteurs techniques sont les témoins de cette mutation. Le secteur industriel bénéfice par exemple du développement nouveaux capteurs, qui, intégrés dans des structures ou des machines, permettent de détecter de façon précoce une panne ou une pathologie : cette maintenance prédictive assure ainsi une plus grande longévité des outils ou des ouvrages.

Le secteur de la construction utilise en outre de plus en plus de nouveaux matériaux. Biosourcés (composés de de fibres naturelles), intelligents (capables de s’adapter à différents usages) ou recyclés (issus de la valorisation de matériaux moins nobles voire de déchets), ces matériaux de nouvelle génération ont une empreinte écologique et énergétique moins forte que les matériaux usuels (métaux, bétons, etc.).

Enfin, les secteurs de la construction et du bâtiment exploitent de nouveaux procédés de fabrication, par exemple la fabrication additive, qui permet de concevoir des structures aux propriétés mécaniques et thermiques qui les rendent plus adaptables, durables et recyclables.

L’industrie est en train de se transformer pour s’engager dans une voie privilégiant la durabilité.

Quelles sont les conditions qui favorisent la diffusion de ces innovations dans le secteur industriel ?

La plupart des entreprises du secteur ont conscience des défis et des contraintes écologiques et environnementales mais leurs moyens d’action sont fortement conditionnés par leur capacité d’accès à la recherche et à l’innovation, à la fois sur le plan économique (selon leur capacité d’investissement) et sur le plan scientifique (selon les compétences et ressources disponibles). On constate de fortes disparités entre les acteurs industriels selon leur taille, leur secteur d’activité ou leur mode d’organisation. Les grands groupes de la construction comptent parmi les plus innovants, en raison de leurs moyens financiers, mais ils ne sont pas les seuls : certaines PME ou startups tirent leur épingle du jeu.

Si la rentabilité économique reste le premier critère de transformation de l’activité, d’autres leviers peuvent jouer un rôle important, en particulier la règlementation, laquelle peut contraindre les usages ou fixer un cadre favorable aux investissements.

La plupart des entreprises du secteur ont conscience des défis et des contraintes écologiques et environnementales

Quel rôle peut jouer la recherche et l’innovation dans ces mutations ?

Qu’il s’agisse d’évaluer les technologies, d’objectiver leurs performances, d’identifier les besoins d’investissement, d’accompagner leur développement ou de former les compétences de demain, la recherche joue un rôle central et multiple. Il est indispensable de construire des relations étroites entre les mondes académiques et économiques pour faire face aux enjeux d’innovations que porte la transition des industries.

Pour aller plus loin

Il est indispensable de construire des relations étroites entre les mondes académiques et économiques pour faire face aux enjeux d’innovations que porte la transition des industries.

Nordine LEKLOU

Le numérique au cœur de la compétitivité et de la résilience du secteur industriel

Entretien avec Catherine DA CUNHA, professeure à Centrale Nantes, chercheuse en génie industriel au sein du Laboratoire des Sciences du numérique de Nantes (LS2N). Ses activités de recherche portent sur la modélisation des activités industrielles et des organisations économiques, ainsi que les apports des données sur la personnalisation de la production.

Le numérique a produit des innovations majeures au cours de la décennie passée. Qu’apportent-elles au secteur industriel ?

Le spectaculaire développement des technologies du numérique, fondé par exemple sur des capteurs miniaturisés, des serveurs ou des ordinateurs aux capacités de stockage et de calcul sans cesse croissantes et des algorithmes toujours plus performants, a en effet permis la collecte, le stockage et l’analyse d’un grand nombre et d’une grande variété de données. Celles-ci permettent de connaître de façon plus précise les paramètres qui influencent l’efficacité d’un procédé de fabrication, l’utilisation d’une machine pouvant par exemple fortement dépendre de contraintes météorologiques ou géographiques.

L’analyse de données offre en outre la possibilité de mieux comprendre les attentes des consommateurs. Rappelons que sans ces moyens numériques, disposer d’informations sur les habitudes de consommation demande des études de marketing, généralement longues et coûteuses, fondant leurs conclusions sur des échantillons restreints.

Comment ces technologies changent-elles les façons de produire et de consommer ?

Une véritable révolution technique est en train de s’opérer dans le secteur industriel, dont la mutation ne fait que commencer ! Les données aident concrètement les industriels avant tout à mieux produire, car elles permettent par exemple d’optimiser l’usage des ressources, matérielles, énergétiques ou logistiques. Le numérique favorise en outre le développement de services et produits adaptés à de nouveaux besoins des consommateurs. Différentes études ont mis en évidence le bénéfice écologique et l’intérêt économique de ces approches. Plus qualitatif, un produit personnalisé est souvent vendu plus cher, mais il est aussi plus durable car sa conception est plus adaptée à ses usages, qui répond à une véritable demande, est en général prolongée.

L’enjeu de la transformation numérique des entreprises est de comprendre et accompagner ces mutations afin d’éviter qu’elles ne s’accomplissent au détriment de leurs salariés et qu’elles favorisent leur développement économique

Le numérique induit cependant des nouvelles organisations productives, modifiant en profondeur les conditions de travail. Plus connecté et plus réactif, le secteur industriel demande une adaptation permanente de la part des humains, avec des cycles de travail devenus plus flexibles. Les innovations de la robotique, pensée pour assister les opérateurs dans l’exécution de tâches pénibles et répétitives, peuvent en revanche apporter plus de sécurité au travail.

Enfin, les machines, même rendues plus "intelligentes" grâce au numérique, ne vont pas totalement se substituer à l’expertise et aux savoir-faire humains : en effet sans la connaissance fine et l’expérience sensible d’un procédé qu’ont les opérateurs, on ne peut par exemple pas concevoir de système automatisé efficace ! L’enjeu de la transformation numérique des entreprises est de comprendre et accompagner ces mutations afin d’éviter qu’elles ne s’accomplissent au détriment de leurs salariés et qu’elles favorisent leur développement économique.

La résilience du secteur industriel est au cœur de la stratégie industrielle européenne et le numérique apportera sans doute des innovations majeures dans ce sens

Quel thème de recherche émergeant intéresse aujourd’hui les entreprises ?

L’identification des signes avant-coureur de crises, dont la pandémie de 2020 a renforcé l’intérêt, est l’un des thèmes les plus en vogue actuellement. Il s’agit de développer des techniques d’analyse de données à la finesse accrue pour détecter, anticiper et s’adapter à des difficultés d’ordre sanitaire, économique, énergétique, etc., et d’y apporter les meilleures solutions.

La résilience du secteur industriel est au cœur de la stratégie industrielle européenne et le numérique apportera sans doute des innovations majeures dans ce sens.

Pour aller plus loin

Plus sobre et moins carbonée : le défi de la transformation écoénergétique de l'industrie

Entretien avec Jérôme BELLETTRE, professeur des universités, chercheur en thermique et énergétique à Polytech Nantes, au sein du Laboratoire de Thermique et Énergie de Nantes, et directeur du GIS PERLE (Pôle d’Excellence de la Recherche Ligérienne en Énergie). Ses activités de recherche portent sur les transferts dans les fluides et écoulements complexes, et leurs applications à l'élaboration et la combustion des carburants alternatifs.

Pourquoi la question énergétique est-elle centrale pour le secteur industriel ?

La crise énergétique que nous vivons aujourd’hui rappelle que sans énergie, aucune production industrielle n’est possible, et que nos économies modernes ont besoin d’une importante quantité de ressources énergétiques pour fonctionner. En France par exemple, le secteur industriel est, avec l’habitation et les transports, l’un des trois consommateurs majeurs de l’énergie nationale, loin devant l’agriculture !

La consommation d’énergie s’accompagne en outre d’importantes émissions de CO2 : le secteur industriel est en effet responsable de plus de la moitié des émissions de l’Union Européenne. La demande mondiale en énergie étant appelée à croître et les capacités de production d’une énergie décarbonées restant encore très limitées, il s’agit pour le secteur industriel, comme pour les autres d’ailleurs, de développer des solutions permettant de mieux et moins consommer d’énergie et de limiter la production de gaz à effet de serre.

Pour le secteur industriel, comme pour les autres d’ailleurs, l'objectif est de développer des solutions permettant de mieux et moins consommer d’énergie et de limiter la production de gaz à effet de serre

[VIDÉO] François JARIGGE - Pollution et perspectives actuelles pour la transition écologique (Matinales de la Transition écologique - Centrale Nantes)

Sur quelles solutions technologiques peuvent s’appuyer le secteur industriel pour relever ces défis ?

Cette transition énergétique s’appuiera avant tout sur l’efficacité et la sobriété énergétique. Il s’agit d’une part d’exploiter des machines aux rendements accrus ou de développer des dispositifs de récupération d’énergie pour réduire la consommation. La récupération de la "chaleur fatale", comme celle produite par un data-center, est même l’un des leviers les plus intéressants pour l’industrie ! Cette énergie, inexorablement produite par toute machine ou procédé, est encore largement sous-exploitée et pourrait être mise à profit sur les sites industriels mêmes afin de couvrir une partie des besoins propres à leurs activités.

Il s’agit d’autre part d’optimiser les processus de production et de distribution pour consommer au plus juste besoin. Cette optimisation, loin d’être aisée, demande d’identifier les actions d’adaptation des procédés ayant un effet prépondérant sur la consommation. Elle devra s’appuyer sur des innovations issues des mathématiques ou du numérique (modélisation-optimisation, intelligence artificielle, science des données, etc.), qui s’intéressent déjà à ces questions.

L’industrie aura aussi un rôle majeur à jouer dans la production de nouvelles énergies, moins carbonées et issues de sources renouvelables, que ce soit pour ses propres besoins ou pour ceux d’autres secteurs. Batteries, panneaux photovoltaïques ou éoliennes : de nombreuses solutions technologies sont d’ores et déjà disponibles, mais demandent des adaptations afin être déployées à l’échelle.

D’autres innovations sont en cours de développement, par exemple sur l’utilisation de l’hydrogène ou l’optimisation de batteries. Même si ces innovations offriront des performances nouvelles, sobriété et efficacité resteront de mise car l’énergie à bas carbone sera cependant disponible en quantités restreintes et à des coûts élevés...

Quels gains attendre de cette transition ?

Nécessaire et inéluctable, cette transition sera sans doute difficile et résultera à la fois de contraintes environnementales et économiques, de décisions politiques et d’engagements individuels. L’industrie a cependant beaucoup à y gagner, non seulement sur le plan économique, mais aussi en acquérant une forme d’autonomie pour transformer durablement son activité et l’inscrire dans un avenir énergétique mieux maîtrisé.

Pour aller plus loin

[VIDÉO] Jean-Marc JANCOVICI - Matinales de la Transition Écologique (Centrale Nantes)

L’industrie aura aussi un rôle majeur à jouer dans la production de nouvelles énergies, moins carbonées et issues de sources renouvelables

Jérôme BELLETTRE

L'industrie du futur : un enjeu de Nantes Université

Avec la Santé du futur, l'Industrie du futur est l'autre axe majeur de l'I-site NExT (Nantes Excellence Trajectory), moteur du nouvel établissement Nantes Université. Structurée au sein d'une filière d'excellence (7 laboratoires de recherche, 620 enseignant.e.s-chercheur.e.s, 100 équipement dédiés), la recherche nantaise contribue depuis plusieurs années déjà à faire avancer la connaissance et l'innovation dans des domaines aussi essentiels que l'énergie décarbonée ou les technologies avancées de production. Projets de recherche innovants, collaborations inédites avec des entreprises, formations... Tour d'horizon.

La filière "Industrie du futur" à Nantes Université c'est :

Une excellence du site nantais

Au cœur de l'I-site NExT, "l’Industrie du futur" révèle l'excellence nantaise au travers de cinq grands domaines de la recherche académique :

  • Les technologies avancées de production
  • La digitalisation de l’entreprise
  • Les performances de l’organisation industrielle
  • L’Industrie décarbonée
  • La place de l’humain dans l’industrie

Parmi ces différents axes de recherche, la filière développe de multiples expertises transférables au monde socio-économique telles que :

  • Robotique et cobotique
  • Fabrication additive
  • Composites, nouveaux matériaux et procédés d’assemblage
  • Chimie verte
  • Ecotoxicologie
  • Optimisation énergétique des procédés
  • IA et Valorisation des données
  • Réalité augmentée

Des laboratoires impliqués

Des projets innovants

  • EcoPlex. En 2022, le LS2N a intégré le projet collaboratif (EcoPlex) destiné à réduire l'impact environnemental des navires, via une approche numérique, d'éco-conception et d'analyse de cycle de vie des bateaux.
  • deepmath solutions. Le Laboratoire de recherche en Hydrodynamique, Énergétique et Environnement Atmosphérique (LHEEA) de l'École Centrale de Nantes développe un ensemble d'outils numériques d'aide à la décision pour les professionnels de l'éolien offshore.
  • CimentAlgue. Le laboratoire GEPEA et CAPACITÉS (filiale de Nantes Université) se sont associés au groupe cimentier français Vicat, AlgoSource Technologies et TotalEnergies pour accélérer le développement de la production de microalgues à partir de CO2 et de chaleur fatale.
  • IMNBlue Lab. L'IMN et l'entreprise Blue Solutions se sont associés pour créer un Laboratoire Commun (LabCom) pour développer des batteries automobiles durables.

Pour aller plus loin

[VIDÉO] Interview croisée Benoît FURET et Bertrand CARIOU - Industrie et santé du futur à Nantes Université