Réalisée le 18-19 juillet 2022
La France est en train de vivre ses journées les plus chaudes jamais enregistrées, sûrement encore plus chaudes que celles de la canicule de 2003 : plus de 40 degrés dans le Bordelais, à Nantes, dans la Vallée du Rhône et même en Bretagne ! Alors qu'une grande partie de l'Europe occidentale suffoque, partir en montagne pour trouver de la fraicheur devient presque une nécessité. En effet, la cuvette grenobloise n'est pas épargnée, la barre des 40°C ayant été atteinte ce mardi 19 juillet, avec un ressenti de 46°C.
Aller à 1000m ? C'est 34°C qui vous attendront.
Aller à 1500m ? Vous cuirez tout autant.
Seule solution, passer la barre des 2000m et s'échapper des massifs entourant la métropole de Grenoble. C'est là que le Massif des Ecrins devient une porte de sortie intéressante pour fuir le sauna des plaines. Des forêts, de l'eau, de l'air et de l'altitude, le mélange idéal pour diviser par deux les litres de transpiration et dormir sereinement le temps d'une nuit en haute montagne. Et quoi de mieux qu'un itinéraire reliant deux des plus beaux lacs du Massif des Ecrins ? C'est ce que je vous propose avec l'ascension de la Tête de la Muraillette 3019m, un des premiers 3000 du massif en partant du Nord-Ouest, entouré par le Lac de la Muzelle et le Lauvitel.
Ce sommet me narguait depuis quelques temps puisqu'une ascension a été tentée à l'automne 2019 mais empêchée par la neige qui s'était invitée dès 2000m. Cette fois c'est la bonne, plus de neige, même plus de glacier, que du caillou !
Ce circuit d'environ 25km peut se réaliser en une seule journée, mais dans le but de profiter de la fraicheur des cimes, une nuit sera réalisée à mi-parcours, l'occasion de profiter du coucher et du lever du soleil sur le Massif des Ecrins.
L'itinéraire sera effectué dans le sens Muzelle puis Lauvitel, mais il est tout à fait concevable de le réaliser en sens inverse. Le bivouac sera monté au niveau du Col du Vallon, bien entendu il peut être installé soit au Lac de la Muzelle soit au Lauvitel, bien que le terrain soit assez restreint autour de ce dernier. Néanmoins, un bivouac au col a pour avantage de couper la randonnée en deux parties globalement égales. De plus, il s'agit du point le plus haut, un peu plus de 2500m, où une tente peut être installée, le sentier menant à la Tête de la Muraillette empruntant par la suite pierriers et arêtes. Ainsi, on pourra profiter d'un maximum de fraicheur.
Pour débuter la randonnée, il faut se rendre dans la Vallée du Vénéon qui s'enfonce vers le coeur du Massif des Ecrins, en direction du village de la Bérarde. Après le petit village de Vénosc, il faut se garer au parking juste avant le hameau de l'Alleau. Situé à 900m, la chaleur est encore étouffante et même si on débute en sous-bois et en longeant un torrent, la liquéfaction n'est pas très loin. Quelle bonne idée un départ à la mi-journée !
Une fois au lac, on peut directement se diriger vers le Col du Vallon, lieu d'installation pour le bivouac. Mais ce serait dommage de ne pas partir sur les hauteurs du Refuge de la Muzelle pour le belvédère sur le lac et les merveilles géologiques qui s'y cachent.
On passe rapidement les arches, le soleil n'étant pas au rendez-vous. Le paysage sera plus spectaculaire à la descente, quand les nuages se seront dissipés au dessus de la Muzelle. On se content pour le moment d'étonnants reflets sur les eaux du lac.
Après l'arche, on peut encore continuer la montée afin de se rapprocher du Glacier de la Muzelle et d'agrandir le panorama au-delà du Cirque éponyme.
C'est 400m de dénivelés positifs qu'il reste à effectuer entre le Lac de la Muzelle et le Col du Vallon. Dans un premier temps, on traverse un éboulis de gros blocs avant d'atteindre les gradins herbeux où un défilé de lacets nous attend pour finalement déboucher au col. Les marmottes nous accompagnent durant l'ascension.
L'orage des Hautes-Alpes a créé une enclume gigantesque au-dessus du Massif des Ecrins. Une enclume est le nom donné à la partie la plus haute d'une cumulonimbus s'étalant dans l'atmosphère. Bien que l'orage frappe à un endroit, elle et son ombre peuvent l'étaler sur des superficies bien plus larges. Celle-ci a recouvert une bonne partie du Sud-Est de l'Isère. En descendant vers l'horizon, le soleil devrait donc refaire une apparition sous peu.
Quelques clichés de la luminosité sur la Roche de la Muzelle et son glacier :
Quelques clichés de la luminosité sur la Tête de la Muraillette :
Il est temps de monter la tente dans un creux sous le Col du Vallon, une petite source permet le ravitaillement en eau. Un avantage avant une nuit en bivouac et une ascension à l'aube. Mais un événement vient rapidement interrompre l'installation du bivouac.
Les rayons du soleil, après avoir fui les cimes, s'engouffrent sous les nuages de l'enclume. C'est un festival céleste qui apparait peu à peu au-dessus de l'Ouest des Ecrins et de Belledonne.
En zoomant un peu plus sur le trio d'en face : la Pointe de Confolens, la Pointe de Malhaubert et le Rochail.
Ce spectacle inattendu se poursuit quelques minutes encore puis s'estompe pour laisser place à un ciel étoilé légèrement voilé. Il faut retourner au bivouac afin de finir son installation, à la frontale cette fois-ci.
4h40, c'est l'heure du réveil. En s'étant coucher à 23h à cause de la beauté du ciel au-dessus des Ecrins, se lever est un peu rude. Rarement une nuit de bivouac n'a été aussi chaude : pas besoin de chaussettes, pas besoin de collants, pas besoin de polaire ni d'enfiler le sac de couchage jusqu'aux bras. Même à 5h du matin, sortir de la tente n'est pas difficile tant l'atmosphère à 2500m est tempérée.
Après avoir remballé la tente, l'Est commence déjà à se parer de couleurs chaudes, signes que le soleil commence son inexorable ascension. Pour nous aussi, c'est le début de l'ascension, à la frontale. Depuis le Col du Vallon, il faut suivre une légère sente vers le Sud puis, une fois dans le pierrier, il suffit de suivre les nombreux cairns présents dans la pente et qui nous conduisent jusqu'à l'arête de la Tête de la Muraillette. Aucune difficulté à prévoir.
De l'autre côté de l'arête, on surplombe la Réserve Intégrale du Lauvitel. Il s'agit de la zone du Parc National des Ecrins la plus réglementée. Son accès est strictement interdit et aucun sentier de randonnée et voie d'alpinisme ne la traversent. Il y a même des capteurs de mouvements, non seulement pour suivre les migrations des espèces sauvages mais également pour arrêter les contrevenants. Seuls quelques scientifiques et personnels du parc ont pu fouler la partie située au bord du rivage Sud du Lauvitel depuis 1995, date de sa création. Son but ? Voir le fonctionnement et les évolutions de la nature sans interférences humaines. Située entre 1500 et 3000m d'altitude, cette réserve permet une approche globale de l'espace montagnard. Pour l'anecdote, 1922 marque la date du dernier arbre coupé sur cette zone et c'est dans les années 1950 que les derniers troupeaux paissent sur ces pentes. En 1975, ce territoire de 700 hectares est cédé à l'Etat puis c'est autour du concept de ''libre évolution'' que la réserve est née au milieu des années 1990. Au-delà de l'étude de la biodiversité et des recherches archéologiques (des alpages sans pâturages, un enneigement sans damage, une forêt sans coupe), le changement climatique est au coeur des études scientifiques concernant cette zone qui représente parfaitement les Alpes du Nord sur une toute petite échelle. Ainsi les deux bords du Lauvitel sont l'objet de tous les extrêmes : aucune interférence humaine côté Sud alors que le rivage Nord est l'un des lieux les plus touristiques du Parc National des Ecrins. En France, seule la Réserve intégrale marine de Port-Cros met en place une telle réglementation.
Pour la toponymie, on dit Lauvitel et non Lac Lauvitel ou Lac du Lauvitel car ''Lau'' signifie ''Lac'' et ''Vitel'' signifie ''Eau''. Ainsi, pour éviter la tautologie revenant à dire ''Lac Lac'', il est préférable de n'utiliser que ''Lauvitel'' pour le désigner.
Du sommet, on entend par moment des rochers qui dégringolent. En y regardant de plus près, il s'agissait en réalité de quelques bouquetins défiant la gravité dans la paroi Nord. Trop loin pour les photographier malheureusement, il n'avait que faire de cet individu tout ébouriffé au sommet de la Tête de la Muraillette.
Le petit vent frais du sommet dissuade de sortir le petit déjeuner. Quelques instants au sommet pour profiter du panorama puis c'est parti pour la longue et rude descente vers le Lauvitel, 1500m plus bas. Pour cela, on reprend le même itinéraire jusqu'au Col du Vallon avant de basculer du côté Ouest de l'Aiguille de Vénosc, à l'ombre fort heureusement.
Puis après quelques dizaines de zigzags dans les pentes abruptes de l'Aiguille de Vénosc, le rivage Ouest du Lauvitel apparait au fond du vallon. A en voir le reflet des parois chutant dans ses eaux, le vent est faible ce matin-là sur le plus grand lac du Massif des Ecrins.
200m au-dessus du lac, le sentier devient légèrement plus vertigineux en traversant un couloir d'avalanche. Le sentier a été refait l'année dernière par les agents du Parc National des Ecrins avec quelques câbles et quelques escaliers. Ce parcours étant particulièrement foulé puisque faisant partie du GR54 : le Grand Tour de l'Oisans et des Ecrins.
Sur les bords du Lauvitel 1510m, c'est enfin l'heure du petit déjeuner. Les quelques lève-tôt et les quelques randonneurs ayant bivouaqué près du lac n'hésitent pas se baigner dans ses eaux translucides. L'eau y est particulièrement bonne, la faible altitude et les fortes chaleurs estivales ayant aidé. En tout cas, elle l'est en surface car le Lauvitel peut atteindre une profondeur de 68m !
La chaleur est déjà présente et cela ne va faire qu'empirer. Il ne reste plus que 600m de dénivelés négatifs pour atteindre le fond de vallée. Heureusement, il s'agit majoritairement d'un sentier en sous bois où coulent de nombreux ruisseaux. Deux sentiers mènent au départ du Lauvitel, les deux partant à la parallèle de chaque côté du vallon. Qu'importe celui que vous choisissez.
Une fois au départ du Lauvitel, au petit hameau de La Danchère, la voiture n'est pas encore atteinte. Il faut maintenant relier le hameau du L'Alleau, près de Vénosc. Pour se faire, un sentier balisé remonte le Vénéon en longeant le pied de l'Aiguille de Vénosc. Vers la mi-chemin, le sentier est malheureusement fermé à cause d'éboulements. Il faut donc traverser le Vénéon et emprunter la voie verte jusqu'à la voiture. Ou alors vous pouvez faire du stop !
Vers 12h30, la boucle est bouclée, plus de 24km de randonnée et 2700m de dénivelés positifs et négatifs avalés en quasiment 24h puisque la veille, le départ s'est effectué vers 13h30. La particularité de ce tour est que le gros du dénivelé positif est réalisé le premier jour avec plus de 2000m d'ascension et le gros du dénivelé négatif est réalisé quant à lui la seconde journée, avec là aussi plus de 2000m de descente. Ce tour peut être raccourci en évitant les arches de la Muzelle ou l'ascension du sommet. Il peut être également allongé en y rajoutant la traversée des arêtes de l'Aiguille de Vénosc ou l'ascension du Col de la Muzelle. Bref, les choix sont nombreux pour partir à la rencontre de deux des plus beaux lacs du département de l'Isère.
En vallée, la chaleur est écrasante. Et cela ne donne pas envie de traverser la métropole grenobloise. On y regrette vite le petit vent frais à 3000m d'altitude. Les 40°C seront de nouveau frôlés ce jour-là en Isère. Même les quelques orages prévus en fin de journée près des reliefs n'y changeront rien. S'hydrater et suer, tel est notre quotidien pour la semaine à venir.
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ITINÉRAIRE DE LA RANDONNÉE :