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Nos expertes témoignent

Mer, climat, numérique, métal, biodiversité, rénovation énergétique, risques... 7 femmes expertes dans différents domaines, agentes du pôle ministériel et des établissements publics sous tutelle, nous racontent leur parcours, leur métier et partagent leur regard sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Claire Demars, chaudronnière à VNF

Au cœur de Toulouse, au bord du canal du Midi, est niché un lieu tout particulier : la chaudronnerie de Voies navigables de France (VNF). Au sein de cet atelier, 5 chaudronniers ont pour mission d’entretenir et réparer les éléments métalliques du canal des deux Mers. Claire Demars, seule chaudronnière de l’équipe, nous raconte son métier et son parcours.

« Ce qui me rend fière, ce n’est pas tant d’être une femme dans un monde masculin, mais c’est de fabriquer des choses de mes mains, des choses qui resteront dans le temps. »

Aurélie Régimbeau, cheffe du projet MEtronome à Météo-France

Passionnée par les sciences et les maths depuis toujours, c’est avec un bac S en poche et une formation en classe prépa aux grandes écoles d’ingénieurs, qu’Aurélie Régimbeau intègre en 2001 l’École nationale de la météorologie (ENM) pour devenir ingénieure. Depuis 2004, elle travaille au sein de Météo-France sur différents sujets techniques liés aux outils de maintenance, de production et d’observation météorologiques. Elle est aujourd’hui en charge du projet Metronome à la direction des services météorologiques.

Le projet Metronome, c’est quoi ? Quel est votre rôle ?

Metronome est un projet stratégique de Météo-France qui consiste à mettre en place le nouvel outil web de production des bulletins météorologiques envoyés à nos clients commerciaux et institutionnels. En tant que responsable du projet, je pilote l’équipe qui doit livrer un logiciel de qualité dans les délais impartis. Je compare souvent le rôle de chef de projet à celui de chef d’orchestre : pour tout mettre en musique, je dois m’assurer que les différents lots de travaux du projet soient correctement organisés et réalisés.

En tant que cheffe de projet, comment veillez-vous à l’égalité au sein de votre équipe ?

Au sein de l’équipe, chaque membre est expert dans son domaine et sait ce qu’il a à faire. Pour ma part, je dois veiller à apporter du liant. Pour cela, je m’appuie sur une démarche participative, avec beaucoup de dialogue et d’écoute via des réunions hebdomadaires et des points quotidiens au cours desquels je collecte leurs remontées et avis. En tant que cheffe de projet, je n’ai pas de relation hiérarchique vis-à-vis de mon équipe, il me faut donc créer un environnement de travail serein basé sur une confiance mutuelle. Comme je ne peux pas être experte dans tous les domaines, il me faut déléguer des tâches et compter sur l’équipe pour les mener à bien.

« L’évolution est lente, mais elle est enclenchée ! »

Le corps technique de Météo-France ne compte que 25 % de femmes. Comment faire évoluer les choses ?

C’est un travail de longue haleine. Mais depuis 2 ou 3 ans, des actions ont déjà abouti. On peut citer la nomination d’une femme à la tête de l’établissement, la constitution du réseau de référents ou bien encore la définition d’un plan d’actions pluriannuel qui commence à porter ses fruits. Les actions de sensibilisation existent à Météo-France, mais aussi plus en amont, via l’association Capital filles ou l’ouverture du concours d’entrée de l’ENM à la filière BCPST. Le mentorat est envisagé pour continuer d’inspirer et motiver les carrières scientifiques des femmes. À ma petite échelle, j’ai obtenu une promotion l’année de mon congé maternité, je trouve que c’est un beau reflet de l’évolution des choses, alors que la maternité est encore perçue, à tort, comme un frein à la carrière des femmes. L’évolution est lente, mais elle est enclenchée !

« L’égalité professionnelle est possible sans que cela ne se fasse au détriment des hommes ! »

Pouvez-vous nous parler de votre rôle de référente égalité femmes-hommes ?

Ce rôle de référente à l’égalité professionnelle me tient particulièrement à cœur, j’ai la ferme intention de m’investir sur deux volets principaux. D’une part, je souhaite contribuer aux actions du plan pluriannuel, notamment celles visant à analyser les bilans genrés pour comprendre les raisons d’éventuelles inégalités et proposer des solutions pour y remédier. L’autre pan du rôle de référente qui me motive est celui qui consiste à proposer une écoute auprès des victimes, leur rappeler les aides qui peuvent leur être apportées et surtout les déculpabiliser. Au sein de ma direction, je me dois de sensibiliser les agents et j’insisterai lourdement sur le fait que l’égalité professionnelle est possible sans que cela ne se fasse au détriment des hommes !

Corinne Lafont, directrice du programme de transformation numérique PNM (SNUM)

Ingénieure, diplômée de l'École nationale des sciences géographiques (ENSG), Corinne Lafont a été animée par une soif de découverte tout au long de son parcours. Elle a débuté sa carrière à l'IGN, puis est partie plusieurs années au Mozambique sur un projet porté par la Banque mondiale, pour enfin travailler au CETE Méditerranée. Elle est aujourd'hui directrice du programme de transformation numérique de la sous-direction des produits numériques métiers du service numérique (SNUM).

« Ne vous censurez pas ! [...] La perfection, c'est ni masculin, ni féminin. Les femmes ont les mêmes capacités que les hommes et peuvent s'épanouir dans tous les domaines si elles en ont envie. »

Madisone Falconnet, chargée d'opérations rivières et zones humides à l'agence de l'eau Seine-Normandie

Un parcours entre terre et eau

Diplômée ingénieure en aménagement et environnement de Polytech’Tours en 2018, c’est naturellement que Madisone intègre l’agence de l’eau Seine-Normandie l’année suivante, en tant que chargée d’opération rivières et zones humides. De ses études, la jeune ingénieure se souvient d’avoir été entourée de garçons comme de filles : « La filière environnement était plutôt équilibrée, alors que dans la filière mécanique, il n’y avait que des mecs ! ».

Sa famille l’a toujours encouragée. Il faut dire que ses proches n’ont pas été surpris par son choix d’études. « Je viens d’une famille de pêcheurs, j’ai grandi dans la nature. Ce métier était donc une réelle vocation pour moi ! »

« Il est grand temps de féminiser les métiers de terrain. »

Une femme parmi les hommes ?

C’est à la sortie des études que Madisone fait face aux premières déconvenues : « La période des recrutements a été la plus compliquée. Les questions sur ma situation amoureuse, la manière d’insister sur l’environnement de travail en extérieur… Je me suis rendue compte que si j’avais été un homme, on ne m’aurait certainement pas posé ces questions. »

Aujourd’hui, Madisone démarche et accompagne techniquement et financièrement les maîtres d’ouvrage pour favoriser les projets protégeant les rivières et les zones humides des Vallées d’Oise, un espace s’étendant sur environ 17 000 km2. Au quotidien, ses interlocuteurs sont plutôt des hommes, « sur 46 techniciens, il n’y a que 10 femmes ! ». Elle regrette que les métiers d’extérieur restent malheureusement encore beaucoup l’apanage des hommes.

Une note positive en terme d’égalité ? « Au sein de l’agence, c’est très équilibré ! J’ai beaucoup d’interlocutrices et de nombreux postes de direction sont occupés par des femmes. » Néanmoins, pour elle, il est grand temps de féminiser les métiers de terrain et pour cela cesser les a priori de certains recruteurs en leur montrant que oui, on peut être une femme, jeune et travailler toute la journée dehors !

Sophie Le Garrec, chargée de mission transition énergétique et écologique des bâtiments (DREAL PACA)

Pour Sophie Le Garrec, chargée de mission transition énergétique et écologique des bâtiments à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, la thématique du bâtiment n'est pas qu'une affaire d'hommes. Diplômée de l'ENTPE, École nationale des travaux publics de l'État, le parcours de cette ingénieure est marqué par son intérêt pour la construction et l'habitat. Elle évoque pour nous son parcours et ses prochains défis à relever.

« J'ai vu des femmes, des collègues, prendre à bras-le-corps des sujets techniques, se former, devenir spécialistes sur leurs sujets. »

Christine David-Beausire, directrice adjointe et directrice scientifique de la Flotte océanographique française (IFREMER)

Crédit : Stéphane Lesbats - Ifremer

Entre astronomie et atmosphère, régions polaires et océan, le parcours de Christine David-Beausire est nourri par les sciences. Directrice adjointe à l’Institut universitaire européen de la mer (IUEM) et deux fois à l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), elle est aujourd’hui directrice adjointe et directrice scientifique de la Flotte océanographique française, opérée par l’Ifremer. Habituée à évoluer parmi les hommes tout au long de son parcours personnel et professionnel, la directrice scientifique n’a pendant longtemps pas eu le sentiment d’avoir été traitée différemment que ses collègues hommes. Christine David-Beausire revient pour nous sur sa relation avec le monde scientifique et partage son regard sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Astronomie, atmosphère, régions polaires, océan… Comment est né votre intérêt pour les sciences ?

De l’envie d’apprendre et de comprendre. Quoi de mieux pour nourrir cette insatiable soif de connaissances que la recherche scientifique dont l’objectif, à partir de ce qu’on sait à un moment donné, est bien d’étendre le champ des connaissances. Dès l’adolescence, l’astronomie et la cosmologie me passionnaient, sans doute parce que ces disciplines, en voulant expliquer l’Univers, rejoignent la quête des origines. L’astronomie m’a fait vivre ma première « émotion scientifique » lorsque qu’à 14 ans j’ai vu de mes yeux, pourtant avec une résolution dérisoire, les anneaux de Saturne dans mon petit télescope amateur. Pour autant je n’ai pas l’amour des sciences exclusif : la volcanologie comme la biologie ou la paléontologie m’intéressent également. C’est sans doute pourquoi j’apprécie les postes d’encadrement de la recherche dans des infrastructures opérationnelles comme l’IPEV ou la Flotte, qui ont vocation à déployer des recherches dans des disciplines très variées.

J’ai étudié l’astronomie jusqu’en DEA (le master de l’époque), mais mon parcours professionnel a finalement bifurqué, pour des contraintes pratiques. Le choix de la physique de l’atmosphère au moment de ma thèse est avant tout l’histoire d’une rencontre avec un grand monsieur, Gérard Mégie, qui alliait une intelligence vive, la capacité d’analyse et de vision intégrative à une rare empathie et une finesse subtile dans sa lecture de l’autre. Chose encore rare à l’époque, au tout début des années 1990, il recrutait les doctorants et jeunes chercheurs quasiment à parité de genre. Ma carrière de chercheur s’est déployée ensuite pendant plus de vingt ans dans l’étude de l’atmosphère, avant que je ne prenne des responsabilités de pilotage et d’encadrement à partir de 2010.

« Je remarque maintenant comment des désaccords de fond sont pris en compte et discutés lorsqu’ils sont émis par un homme et peuvent être abordés comme de l’incompétence ou de la naïveté lorsqu’ils sont émis par une femme. »

A-t-il été difficile pour vous de trouver votre place dans le monde scientifique ?

Je me suis heurtée aux mêmes difficultés que rencontraient les jeunes chercheurs à l’époque. J’ai aussi affronté quelques relations humaines tendues avec des collègues, comme ils en existent avec les personnes qu’on doit côtoyer sans les avoir choisies. Et puis j’ai parfois rencontré mes propres limites, celles de mon histoire et de mon vécu, dans lesquelles le rapport de genre était présent. Mais tant que j’étais chercheure, je n’ai jamais ressenti ou perçu de difficultés externes majeures directement liées au fait que je sois une femme. Je ne dis pas qu’ils n’en existaient pas dans le monde de la recherche, mais simplement, soit qu’elles étaient minimes dans l’environnement où j’évoluais, soit que j’y étais relativement hermétique. C’était vrai également au cours de mes missions en régions polaires, où j’ai croisé pourtant quelques personnalités masculines un peu caricaturales : j’imagine que le statut de chercheure (introduisant une sorte de distance respectueuse) l’emportait sur l’état féminin.

Les choses ont changé lorsque j’ai intégré des positions d’encadrement et de pilotage. Ma première expérience pour le compte a été assez violente avec la confrontation directe à une misogynie patente. Sans sommation, je me suis retrouvée face à l’irrationnel : peu importe ce que vous avez démontré par le passé, peu importe ce que vous faites réellement, le simple fait d’être femme plutôt qu’homme vous rend haïssable et nécessairement inapte… Le monde de la recherche où j’évoluais avant est très ouvert au-delà du laboratoire : cela dilue fortement le poids des comportements de l’environnement proche. En position de management dans une structure, on n’échappe pas à cet environnement interne et les comportements malsains sont alors inévitables. Depuis lors, je suis beaucoup plus sensible aux différences de traitement liées au genre. Ppar exemple, je remarque maintenant comment des désaccords de fond sont pris en compte et discutés lorsqu’ils sont émis par un homme et peuvent être abordés comme de l’incompétence ou de la naïveté lorsqu’ils sont émis par une femme.

De quels défis, relevés dans le cadre de votre travail, êtes-vous la plus fière ?

Pour moi, ce ne sont pas des activités purement scientifiques dont je suis la plus fière, mais plutôt des actions professionnelles que j’ai menées et qui m’ont demandé de dépasser mon vécu personnel. Pour prendre en main des opérations de terrain en régions polaires, en coordonnant des activités et des équipes très diversifiées dans un environnement difficile, j’ai dû vaincre mon côté réservé et solitaire, apprivoiser ma tendance au doute et dépasser un certain déficit d’estime de soi. Avec le recul, une sorte de « complexe de femme » n’y était sans doute pas étranger.

« L’idée fait son chemin d’une société dans lesquels les potentiels ne sont pas genrés et ont tous de l’intérêt. »

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’égalité femmes-hommes dans le monde des sciences ?

Les choses semblent changer au fur et à mesure de l’évolution des mentalités au sein de la société. Si je reprends l’exemple de l’astronomie et l’astrophysique, alors que les femmes devaient y être représentées à hauteur d’environ 5 à 10 % à la fin des années 1980, elles sont aujourd’hui bien plus nombreuses. Du travail a été fait et des moyens sont recherchés pour attirer les femmes dans des fonctions où on les voyait peu par le passé. L’idée fait son chemin d’une société dans lesquels les potentiels ne sont pas genrés et ont tous de l’intérêt.

De mon point de vue cependant, un sujet important passe encore sous les radars : celui de la gestion du quotidien domestique qui pèse encore beaucoup sur les femmes et de la « charge mentale » qui y est associée. C’est à mon sens un frein pour passer du principe accepté de l’égalité hommes-femmes à sa réalisation de fait. Sa portée me paraît être négligée et pour autant elles enferment les femmes dans une obligation qui à la fois leur prend du temps et limite leurs degrés de liberté. Si j’avais un message à faire passer, ce pourrait être : regardons aussi en face comment les croyances patriarcales de répartition des rôles au sein de la famille continuent encore à bloquer l’épanouissement d’une société réellement égalitaire.

Laëtitia Rivollet, pôle national de la sécurité des ouvrages hydrauliques

Diplômée ingénieure de l’industrie et des mines de l’École des mines de Douai, Laëtitia Rivollet revêt diverses casquettes au sein du pôle national de la sécurité des ouvrages hydrauliques de la direction générale de prévention des risques : accompagnement technique sur le contrôle de la sécurité d’ouvrages hydrauliques, élaboration de la règlementation, cheffe de projet numérique… En quelques mots choisis, elle nous raconte son parcours et son ressenti sur l’égalité.

Un mot pour raconter votre parcours ?

Fonction publique – Je suis entrée dans la fonction publique lors de mon admission en école d’ingénieurs, où j’ai étudié le génie civil, et j’y suis restée depuis. Après un premier poste en développement économique, sur les filières de la plasturgie et de l’utilisation non alimentaire de la biomasse, j’ai changé complètement de domaine pour rejoindre le pôle national de la sécurité des ouvrages hydrauliques, où je suis toujours.

Un mot pour décrire votre métier ?

Polyvalence – Le Pôle veille à la sécurité des ouvrages hydrauliques à plus d’un titre : sur mon poste j’ai contribué à l’élaboration de la réglementation et de la doctrine de l’État, appuyé les services de contrôle en les formant et en leur apportant mon expertise, et participé à des groupes de travail de la profession réfléchissant à divers sujets. Ces dernières années je m’occupe d’un projet informatique de refonte d’une application métier.

« J’aime croire que l’effet des générations commence à se faire sentir : les adultes d’aujourd’hui ont grandi avec des idées d’égalité dans les oreilles. »

Un mot pour évoquer votre intérêt pour votre métier ?

Utilité – Mon travail consiste à fournir des explications : techniques, réglementaires, sur un dossier ou en formation ; même sur le projet informatique ma mission consiste à expliquer au prestataire ce qu’on veut précisément que l’application fasse ! C’est gratifiant d’occuper la position de la porteuse de réponses.

Un mot pour partager votre expérience sur l’égalité femmes-hommes ?

Optimisme – J’ai eu une bonne expérience de ce côté. Dans mon service actuel, il y a surtout des hommes, mais pour autant, je n’ai jamais ressenti qu’on mettait en doute mes compétences ou que je n’avais pas la parole. Peut-être que j’ai eu de la chance, mais j’aime croire que l’effet des générations commence à se faire sentir : les adultes d’aujourd’hui ont grandi avec des idées d’égalité dans les oreilles. Il reste du chemin, indéniablement, et il faut combattre tout recul, mais on avance.

Un mot à combattre ?

Autocensure – Il y a assez de gens à penser, parfois inconsciemment, qu’il y a des choses que les femmes ne peuvent ou ne devraient pas faire. Il faut s’efforcer de ne pas y contribuer soi-même, en renonçant spontanément à une activité ou à un poste parce qu’on pense que cette voie nous est barrée : nombre de ces barrières sont imaginaires, où la réalité se montre plus prosaïque que les réactions négatives qu’on a pu craindre. Laissez les vraies barrières se montrer, qu’on les abatte.

Un dernier mot ? Persévérez !

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Suzanne RUER
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